Après plusieurs semi-échecs commerciaux et artistiques, le cinéaste danois Nicolas Winding Refn repartait du festival de Cannes avec un Prix de la mise en scène pour son dernier film, le plus beau, Drive. Rencontre avec un enfant terrible du cinéma de genre.
C’était l’invité surprise du dernier festival de Cannes : un film d’action hollywoodien, gore et sexy, réalisé par un cinéaste Danois pas vraiment en odeur de sainteté, qui repartait avec un Prix de la mise en scène. Près de quinze ans après le premier volet de sa trilogie Pusher (un polar tranchant devenu culte, complété de deux suites inégales), et alors que son cinéma n’inspirait plus qu’un intérêt lointain (les démonstrations de maîtrise Bronson, ou Le Guerrier Silencieux), Nicolas Winding Refn s’impose désormais comme l’un des plus brillants auteurs du cinéma de genre contemporain.
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Drive est de loin son plus beau film, paradoxalement le plus fragile : un actionner limpide, à l’efficacité redoutable ; mais aussi une romance bouleversante entre un cascadeur muet (Ryan Gosling, l’acteur –pygmalion) et une victime apeurée (Carey Mulligan, aux mains de la mafia). Un nouveau départ salutaire pour le cinéaste, dont il résume parfaitement le secret : « J’ai toujours voulu filmer une histoire d’amour sans savoir trop comment ; là j’avais enfin la solution : un film d’action qui parle d’amour. »
Ruiné, criblé de dettes et shooté aux médicaments en 2004 après l’échec de son film Inside Job (une descente documentée dans le terrifiant carnet de tournage The Gambler), Nicolas Winding Refn apparaît aujourd’hui plus apaisé, enfin affranchi de la colère noire qui aveuglait ses derniers films.
Rassuré par le succès de Drive aux Etats-Unis (où le film a réalisé près de 30 millions de dollars de recettes, pour un budget de 15 millions de dollars), le phœnix Danois évoque pour les Inrocks ses débuts mouvementés, son obsession pour Los Angeles, la Pop culture et les personnages mythologiques.
Drive, les origines
« J’étais arrivé aux Etats-Unis pour tourner un autre film, tout était réglé, le choix de l’acteur, Harrison Ford, le scénario qui me passionnait…et puis en un jour, tout s’est effondré. Je l’ai très mal vécu, et je n’étais donc pas vraiment dans mes meilleures conditions lorsque Ryan Gosling m’a contacté pour un nouveau projet. Il avait vu mes précédents films, et m’avait soumis un scénario adapté du roman de James Sallis (Drive) qui, franchement, ne me convenait pas trop. Je ne pouvais rien faire de ce script, alors je suis retourné aux origines, j’ai lu le roman pour me faire une idée. Et j’ai trouvé le livre brillant : une centaine de pages, pas plus, sur le parcours existentiel d’un cascadeur de Los Angeles enfermé dans ses rêves de fiction. »
Champagne
« Je lisais les frères Grimm au moment de la préparation de Drive, et j’imaginais le film comme un conte, avec un personnage principal qui change complètement à la fin : il enfile son masque et devient un super héros. C’est un homme violent qui lutte pour préserver la pureté d’une femme. J’ai toujours voulu filmer une histoire d’amour sans savoir trop comment ; là j’avais enfin la solution : un film d’action qui parle d’amour. Il y a quelque chose de double dans Drive, c’est très pur et en même temps perverti, sexy et inquiétant. Chacun de mes films a son propre langage : Pusher n’a rien à voir avec Bronson ou Le Guerrier Silencieux, que je vois comme un film de science-fiction. Drive est beaucoup plus pop, c’est un film champagne. »
http://youtu.be/0RI0Y3jI4S0
Mythologies
« J’ai toujours eu de la chance avec mes acteurs : il y a eu Mads Mikkelsen à mes débuts, Tom Hardy dans Bronson, maintenant et pour deux nouveaux projets Ryan Gosling. Je suis fasciné par les personnages bigger than life, ceux que l’on reconnait immédiatement – ce sont des figures mythologiques, des super-héros. A mon avis, chaque film, pour être réussi, doit avoir sa star, son leader. Mais aussi un environnement particulier, un cadre bien défini : Los Angeles dans Drive. Je voulais depuis longtemps filmer cette ville, qui reste encore non identifiée : peu de cinéastes ont vraiment saisi son atmosphère, sa géographie si particulière. Il y a quelque chose de mystique et d’attirant dans ses rues ».
L’indépendance
« J’ai commencé dans un milieu underground, avec le premier Pusher et Bleeder. C’était ce qui me correspondait alors, car j’ai toujours voulu garder un contrôle absolu sur mes films, rester indépendant. Pour Drive, la situation était différente bien sûr : il y avait plus de pression, plus de pièges à éviter, et surtout plus de personnes engagées sous ma responsabilité. Mais j’ai toujours su que Ryan Gosling me protégerait. Qu’il m’aiderait à garder le contrôle, à faire le film que je souhaitais –parce qu’il en a le pouvoir, et surtout la passion. C’est lui qui m’avait choisi comme réalisateur de Drive, on partageait exactement la même idée du livre original, de ce que son adaptation devait être. »
Pop Culture
« Je ne pourrai pas faire autre chose qu’un film de genre, simplement parce que c’est ma culture. On peut dire que je suis un geek, le genre de type qui pense que la vérité est ailleurs. J’ai déménagé à 8 ans à New York avec ma mère, qui était photographe, et j’ai été éduqué à la Pop américaine : je collectionnais les figurines, les comics et les films d’horreur que je regardais après les cours. C’était un acte subversif en quelque sorte : ma famille était socialiste, très imprégnée par la culture européenne, et considérait les films d’horreur ou les comics américains comme fascistes. Moi j’étais obsédé par ces films, ces héros, qui m’ont donné envie de faire du cinéma. »
Réalisateur accidenté
« J’étais sous le choc au moment de la remise du prix de la Mise en scène pour Drive au festival de Cannes. Même si je suis très conscient de la carrière que je veux faire, des mes ambitions, j’ai appris à ne pas trop attendre de la vie, à rester lucide. Après une formation d’acteur, très vite interrompue, je me suis lancé tôt dans le cinéma avec Pusher, qui a été un succès commercial. J’avais commencé très fort et je me suis ramassé ensuite. Mon deuxième film Bleeder (que je considère comme l’un des plus personnels) s’est planté, et ça a été pire encore avec Inside Job, un plus gros budget, tourné aux Etats-Unis. Je suis revenu au Danemark déprimé, fatigué, et j’ai lancé la production de Pusher 2 et 3 pour payer mes dettes accumulées sur Inside Job. J’étais pourri par les angoisses, je devais des millions de dollars. Mais ça m’a appris que le cinéma est un challenge constant, et surtout un putain de business. »
Encore plus violent
« Je vais réaliser deux nouveaux films avec Ryan Gosling. Le premier, Only God Forgives, sera tourné en Thaïlande, avec une production entièrement européenne. Après Drive, je retourne dans un système de production qui m’est plus familier, ce qui me permettra d’être plus libre, de moins avoir à tout calculer en permanence. Ce que je peux vous dire, c’est que sera encore plus violent. Après je débuterai le tournage de Logan’s Run, le film est encore en développement, ce ne sera pas un remake, plutôt une relecture du roman. Je ne vois pas l’intérêt de faire des remakes lorsque les originaux sont bons. »
Romain Blondeau
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