Quand le documentaire de Susanne Ofteringer, Nico Icon, sortit en 1995, il y eut d’abord le choc de découvrir la Nico des derniers jours, grise et boursouflée, le visage traversé de rictus bizarres. Le mythe de la Chelsea girl diaphane tué d’un coup net par les images d’archives. Il y eut aussi la tristesse de […]
Quand le documentaire de Susanne Ofteringer, Nico Icon, sortit en 1995, il y eut d’abord le choc de découvrir la Nico des derniers jours, grise et boursouflée, le visage traversé de rictus bizarres. Le mythe de la Chelsea girl diaphane tué d’un coup net par les images d’archives. Il y eut aussi la tristesse de suivre le parcours morbide de l’éphémère chanteuse du Velvet, muse surréaliste de Fellini (elle parle eskimo dans la Dolce vita), égérie warholienne, sœur mystique de Philippe Garrel dans une poignée de films, pour finir artiste vagabonde flanquée de son éternel harmonium.
C’est donc dans une ambiance bien lourde, bien sombre, que la réalisatrice part sur les traces de la chanteuse allemande, avec l’intention de décortiquer le « mythe Nico ». Ou comment un joli mannequin blond devint un symbole vénéneux de désespoir dandy et d’autodestruction. Le film se construit sur les témoignages d’anciens amis, amants, managers et musiciens, tous unis par la même fascination pour une femme emportée par son « rêve solitaire », comme le glisse joliment John Cale.
Etrange défilé que cette série d’interviews, où apparaissent pêle-mêle la tante de Nico (écoutant un vieux vinyle du Velvet dans une scène pathétique), son fils Ari ainsi que la mère d’Alain Delon, qui prit en charge l’éducation de l’enfant né d’une brève union avec l’acteur français, un clodo poète, les anciens de la Factory de Warhol (Viva, Paul Morrissey, Billy Name). Scènes curieuses de récriminations indirectes (d’Edith Boulogne à son fils Delon) et d’échecs ressassés. Car raconter la vie de Nico revient à compter les points perdus, les rencontres ratées, les échecs commerciaux. Liste implacable dressée par les survivants, obscurs rescapés ou artistes reconnus, encore incrédules face à tant d’acharnement à se mettre en pièces.
Le film excelle dans la description de l’aura morbide de la chanteuse et s’ouvre par un zoom terrifiant sur son regard halluciné : des yeux de hibou sous une frange de sorcière. Libérée par son affaissement physique, Nico apparaît dans une interview de 1986 filmée à Barcelone (elle meurt deux ans plus tard à Ibiza). Rare occasion de l’écouter parler, déjà perdue au reste du monde, énigmatique. Fascinée elle aussi par son sujet (d’où le titre de son film), Susanne Ofteringer se pose finalement peu la question de l’héritage artistique. Chanteuse théâtrale, actrice, auteur, Nico ne fut pas que la femme fatale, le fantasme délétère dépeint par ses anciens compagnons. Mais la réalisatrice préfère contempler l’image de l’artiste maudite. Portrait d’une femme, qui, selon un témoin, « fut tellement belle qu’elle en devint monstrueuse ».
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