Une réalisatrice de Cologne tente de reconstituer le puzzle de la vie incompréhensible de Nico. Malgré ses louables efforts, le mystère reste entier. Heureusement. Le film définitif sur Nico, la fiction insurpassable, mélange unique d’intimité sous-cutanée et de pudeur extrême, ce cadeau-là existe déjà : c’est le magnifique J’entends plus la guitare que Philippe Garrel […]
Une réalisatrice de Cologne tente de reconstituer le puzzle de la vie incompréhensible de Nico. Malgré ses louables efforts, le mystère reste entier. Heureusement.
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Le film définitif sur Nico, la fiction insurpassable, mélange unique d’intimité sous-cutanée et de pudeur extrême, ce cadeau-là existe déjà : c’est le magnifique J’entends plus la guitare que Philippe Garrel nous avait offert il y a quelques années. Nico Icon en est à la fois l’opposé et le complément (symptomatiquement, Garrel en est absent) : autant le film de Garrel passait par tous les filtres de l’œuvre d’art (mise en scène, comédiens, noms fictifs, etc.), autant le travail de Suzanne Ofteringer relève des méthodes du reportage. J’entends plus la guitare appartient au cinéma, Nico Icon est un documentaire journalistique. Le premier est fondé sur l’autobiographie et le regard, le second sur le recueil de témoignages divers. Et dans ce travail de montage et de reconstitution de puzzle, la main d’Ofteringer s’avère assez sûre : l’équilibre entre images d’archives et témoignages récents est bien dosé, les allers-retours entre la « carrière » de Nico et sa vie privée, globalement pertinents. Ainsi (re)découvre-t-on l’étrange itinéraire artistique de Frau Christa Päffgen, des premières pop-songs lumineuses aux liturgies caverneuses du Velvet, du monde publicitaire parisien à l’underground new-yorkais, des apparitions chez Fellini aux premiers rôles chez Poitrenaud (!) puis chez Garrel… Tatie Päffgen, Nico Papatakis, John Cale, Lou Reed, Paul Morrissey et d’autres passent successivement à la barre des témoins avec un bonheur inégal. Mais le moment crucial du documentaire (et peut-être aussi de la vie de Nico) revient au long entretien avec une certaine madame Boulogne Maman Delon pour ceux qui l’ignorent. Ce passage intense, cruel, sujet à controverse (s’agit-il d’un instant de vérité douloureux à la Pialat ou d’une plongée sensationnaliste inutilement fouille-merde ?), ouvre une béante ligne de fuite vers « Il vous en prie » en même temps qu’il plonge dans le n’ud indémêlable de l’intimité de Nico : ce fils qu’elle a eu avec Delon mais que le père n’a jamais voulu reconnaître. Alors, ce père absent a-t-il répété le schéma du père manquant de Nico ? Et comment la venue d’Ari a-t-elle influencé la musique et le destin de sa mère ? Ou comment la carrière de Nico a-t-elle conditionné ses relations filiales ? Et peut-être que tout commence et tout finit avec l’énigme de ce père mort à la fin de la guerre, ancien nazi ou ancien héros de la Résistance, selon les versions ? Car Nico, walkyrie diaphane, pythie teutonique, icône évanescente et vénéneuse, était aussi fille de l’Allemagne et de la guerre. Alors peut-être est-ce ce passé enfoui, cette origine douteuse, ces gènes chargés que Nico cherchait à détruire en démolissant sciemment son image et sa beauté ? Quels secrets portait celle qui sembla traverser sa musique en somnambule, distante, comme murée dans son image ? Toute la force du rockumentaire de Suzanne Ofteringer est de susciter à nouveau toutes ces questions, toute sa limite est de ne pouvoir y répondre. Mais ce mystère Nico qui reste entier n’est évidemment pas étranger à la beauté de ses disques.
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