Malgré quelques scories, un beau baptême de cinéma quelque part entre Bresson et Brisseau. Au début, on a très peur. Peur que ce premier film d’un ancien de la Femis soit seulement un “film Femis” de plus, le devoir certes brillant d’un élève appliqué plutôt qu’une œuvre vraiment originale. Le premier plan (le rectangle de […]
Malgré quelques scories, un beau baptême de cinéma quelque part entre Bresson et Brisseau.
Au début, on a très peur. Peur que ce premier film d’un ancien de la Femis soit seulement un « film Femis » de plus, le devoir certes brillant d’un élève appliqué plutôt qu’une œuvre vraiment originale. Le premier plan (le rectangle de lumière d’un soupirail qui se détache sur l’écran noir) et la première séquence (une transaction argent contre désir entre deux adolescents) sentent le cours de cinéma bien assimilé et la meilleure théorie scénaristique. Mais Civeyrac va très vite dissiper nos craintes en affirmant une écriture qui lui est propre et en trouvant son rythme. Alors, Ni d’Eve ni d’Adam quitte les rivages balisés du nouveau naturalisme pour s’échapper vers autre chose, vers un cinéma beaucoup plus risqué celui qui tente de mixer description sociale et fable morale.
Située dans une cité anonyme où il ne fait pas bon vivre, l’histoire d’amour entre Gilles et Gabrielle n’est constituée que de frôlements et de provocations. Tandis que le garçon est perpétuellement à vif, sans cesse agité de pulsions animales (assouvir son désir, se nourrir, se battre), la fille lui oppose une douceur butée, la certitude têtue qu’ils finiront par se retrouver. Souvent proche du Brisseau première manière celui de De bruit et de fureur ou du très beau Fils du requin d’Agnès Merlet, Civeyrac excelle dans la peinture de la vie des bandes, de la brutalité familiale et scolaire. Surtout, sa mise en scène parvient à capter la violence quotidienne sans jamais tomber dans le cliché banlieue ou le manichéisme. Pour les deux adolescents, il s’agit de s’inventer une série de repaires (et de repères…), de trouver des tanières (la cave du début, le rideau protecteur que constituent les vêtements lors du mariage) où ils pourront échapper au jeu de la morgue sociale et à la loi du groupe. C’est là, dans l’approche de l’adolescence comme une forme possible de résistance, que Ni d’Eve ni d’Adam impressionne le plus, que le film sort des sentiers battus pour imposer la puissance de sa vision et la nouveauté de son ton.
Le problème est que Civeyrac qui ne cache pas avoir été grandement influencé par Bresson et Pasolini se croit parfois obligé de souligner la religiosité inhérente à son propos. S’il est facile d’admettre le fondement chrétien de cette parabole sur l’accès à l’humanité, l’omniprésence d’une musique religieuse (l’orgue, ça va un moment !) vient alourdir un sens déjà suffisamment clair au lieu de le renforcer. Dans la dernière partie où les deux ados s’enfuient, deviennent amants et se retrouvent confrontés à leur part maudite , Civeyrac commence par s’inspirer de Nicholas Ray et de ses Amants de la nuit pour se retrouver du côté de Bresson. Le surgissement d’une tête d’âne dans l’encadrement d’une porte (réminiscence appuyée d’Au hasard Balthazar) devient alors un symbole trop lourd pour un film trop fragile. Malgré ces quelques scories, Ni d’Eve ni d’Adam reste une belle première fois. Maintenant, Jean-Paul Civeyrac doit tenir les promesses de son baptême.