Portrait fascinant de la célèbre orang-outang de Jardin des Plantes par l’auteur d’Etre et avoir.
A 40 ans, Nénette est très vieille. Rassurons les féministes, cet incipit n’est nullement un propos machiste de base : Nénette n’est pas une femme mais une guenon orang-outan, née à Bornéo, pensionnaire du Jardin des Plantes depuis 1972.
C’est la plus ancienne pensionnaire de la ménagerie du Ve arrondissement, un genre de vedette locale. Il faut admettre que Nénette est assez fascinante, et on comprend le désir de Nicolas Philibert de la filmer longuement.
Elle a des mines et des attitudes de grand-mère placide, mais pas toujours commode. Quand elle regarde la caméra, donc quand elle nous regarde, on se demande ce qu’elle peut bien penser, ou même si elle pense. Et est-ce qu’elle ne s’ennuie pas, à ne rien faire pendant des heures, à part avaler des yaourts ou siphonner un biberon de thé (mais oui !) ?
Ressemblant à nous autres humains, mais privée de l’usage de la parole, Nénette est le personnage de cinéma opaque suprême. Un visage indéchiffrable sur lequel projeter mille hypothèses, qui nous renvoie à nos interrogations sur notre part d’animalité et sur notre condition humaine.
Réinventant le documentaire “didactique”, Philibert a choisi de dissocier image et son. On voit toujours Nénette et ses trois comparses, sans les entendre évidemment. Mais on entend les commentaires des visiteurs ou des gardiens de la ménagerie en off, sans les voir.
Propos qui balaient tout le spectre possible, depuis la réaction enfantine spontanée devant le spectacle des singes (“oh ! ils sont marrants !”, “là, on dirait un être humain !”) jusqu’aux récits professionnels et empathiques des soigneurs.
Entre le spectateur et Nénette, il y a donc ces voix plus ou moins savantes, mais aussi la vitre de la cage, qui agit comme une surface-écran, à la fois transparente et barrière protectrice.
On pourrait d’ailleurs s’amuser à comparer la vitre-cage de ce film avec les baies vitrées-prison dans le dernier Polanski, les deux faisant sourdre une tension entre le vraiment visible, le faussement visible et l’opaque.
Le “ghost writer” n’est-il pas un genre de singe savant, quelqu’un à qui l’on demande d’arrêter de penser et d’exécuter une pirouette (booster en quelques jours une autobiographie ennuyeuse).
Mais l’homme est un sujet pensant, et cela suffit à gripper la mécanique des leurres, des vérités cachées et des fausses transparences.
Nénette, de son côté, être aussi nu qu’opaque, nous renvoie le miroir de nos origines lointaines, avant l’apparition du langage, quand l’homme n’était qu’un corps réduit à des fonctions vitales basiques : se nourrir, se reproduire, dormir.
Nénette est un film modeste, mais un film-question, du genre grand petit film.