Sophie Marceau se transforme en Monica Bellucci. Le monde est comme on le voit. Un grand film de libération intérieure.
Voici un film que l’on a envie de défendre, parce qu’il le mérite. A Cannes, le deuxième film de Marina de Van (déjà auteur du remarquable Dans ma peau, où une jeune femme ne parvenait pas à s’empêcher de se dévorer elle-même) a été très mal accueilli : les uns (surtout les hommes) riaient de ses dialogues et des acteurs, d’autres reprochaient à sa réalisatrice de se prendre pour Argento, Cronenberg, De Palma…, d’autres enfin traitaient le film de nanar, accusant le festival d’avoir surtout souhaité organiser une belle montée des marches… Toutes choses qui démontrent que Cannes n’est pas un lieu forcément hospitalier pour certains films, quand ils sont trop corsés, trop différents, trop audacieux, donc forcément toujours sur la maigre frontière avec le ridicule.
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Alors, certes, le film a des défauts, qu’on pourrait presque qualifier “de fabrication”. Mais est-il encore besoin de démontrer que ces défauts s’estompent en général avec le temps ? Rappelons que Pas de printemps pour Marnie d’Hitchcock faisait rire les imbéciles à cause de ses décors en toile peinte trop visible. Les défauts trop visibles de Ne te retourne pas (comme certains effets spéciaux) ne doivent pas nous aveugler sur l’intelligence du film.
Le malaise vient sans doute du fait que Marina de Van nous projette à l’intérieur d’une femme (Sophie Marceau, épatante) qui va peu à peu voir la réalité se déformer sous ses yeux : son appartement changer d’agencement, son mari et ses enfants changer d’aspect, puis elle-même voir son visage et son corps se transformer progressivement (en Monica Bellucci – ses yeux, sa démarche, son attention aux autres n’ont jamais été aussi bien filmés). S’ensuit un voyage psychanalytique en Italie (parfois un peu lourdaud, certes) qui la mènera à comprendre ce qui lui arrive.
Ce que montre avec brio ce film de libération intérieure (le titre est une invite à l’avancée, à la marche en avant de la Gradiva), c’est que la grande angoisse de quiconque voit se déformer le réel tient moins à l’inédit de cette vision qu’à la peur ancestrale de sombrer dans la folie. Que la sortie, forcément douloureuse, de cette angoisse énorme passe par l’acceptation de cette transformation du regard. Car, au fond, nous ne sommes pas “fous” : c’est avant que nous l’étions sans le savoir.
Tout l’intérêt du film est là, dans cette révélation : notre fiction intime est plus réelle que la réalité. Le cinéma est plus vrai que le réel. Les dialogues artificiels sont ceux qu’entend le personnage principal. Le mauvais jeu des acteurs masculins, c’est encore le regard que pose l’héroïne sur les hommes : dans la vie, ils jouent mal. Vouloir regarder et apprécier les choses de l’extérieur est impossible. Il faut les pénétrer et s’en imprégner, et accepter leurs aspérités. Un grand film, on vous le dit.
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