Cinéaste italien emblématique et leader moral de la gauche de son pays, l’athée Nanni Moretti invente dans Habemus papam un pape refusant le pouvoir. Une sorte d’anti-Berlusconi ?
L’un des messages du film est que les hommes de pouvoir devraient aussi être capables de savoir reconnaître leurs propres limites, non ?
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Absolument. Mettre un nom sur ses faiblesses et les gérer peut être un geste très fort. Le geste du pape, à la fin du film, n’est pas un geste de lâcheté mais un geste d’humilité. Cela dit, ce n’est pas une incitation à renoncer à tout. C’est l’histoire d’un homme qui nous montre que parfois, dans la vie, on peut dire non.
On peut dire que ce pape est tout le contraire de Berlusconi. Comment avez-vous réagi aux résultats des dernières élections municipales italiennes ? Le peuple a-t-il enfin eu une prise de conscience ?
Hélas, nous, les gens de gauche, avons eu souvent l’illusion que c’était terminé… Et puis Berlusconi a toujours rebondi. Avant de fêter la fin de ce qui pour moi est un véritable cauchemar, je préférerais attendre que Berlusconi perde lui-même à de grandes élections et qu’il se retire définitivement de la vie politique. La chose la plus humiliante et la plus mortifiante pour les Italiens, c’est que ça fait à peu près vingt ans qu’ils sont otages des intérêts, des problèmes psychologiques, séniles, financiers, économiques et judiciaires d’un seul homme. Il ne s’agit pas de droite ou de gauche, mais du problème d’un homme qui, pendant dix-sept ans, a paralysé un pays entier – même lorsqu’il n’était pas au pouvoir, d’ailleurs.
L’espoir qui naît, en Italie, c’est qu’on arrive à avoir une droite libérale et européenne normale qui ait un sens de l’Etat et des institutions et qui ne se cache pas derrière un homme qui détient des télévisions, les journaux, le pouvoir médiatique, le pouvoir économique, etc. En Italie, il y a des batailles qui sont devenues celles des partis de gauche, mais qui dans une démocratie normale devraient être celles de tous les partis.
A quelles batailles pensez-vous ?
Par exemple la bataille pour la légalité. Face à des adversaires comme Bossi (dirigeant de la Ligue du Nord, formation régionaliste xénophobe – ndlr) ou Berlusconi, la gauche est non seulement obligée de faire le travail de la gauche, mais aussi de suppléer au travail qui devrait normalement être celui de la droite.
Depuis que Berlusconi est entré en politique, il n’y a plus en Italie de terrain de valeurs commun entre les progressistes et les conservateurs comme on en trouve dans les autres démocraties occidentales. Des adversaires historiques comme pouvaient l’être le Parti communiste et la Démocratie chrétienne arrivaient à dialoguer parce qu’ils avaient un humus commun, qui était la Constitution qu’ils avaient écrite ensemble ! Depuis Berlusconi, les deux corps d’électeurs ne communiquent plus. La reconstruction d’un tissu culturel, d’usages communs et d’une éthique publique prendra beaucoup de temps. Même si Berlusconi devait perdre demain, comme je le souhaite, les choses ne changeront pas du tout au tout. Dix-sept années de télévision berlusconienne ont changé le cerveau des gens.
Vous semblez plus tolérant avec la droite qu’il y a six ans, au moment du Caïman…
Non, non ! C’est seulement l’espoir d’avoir une droite normale, morale. Les derniers événements politiques italiens importants ont montré une plus grande implication de la base. La victoire de la gauche au référendum est due à l’engagement de citoyens qui se sont battus pour récolter des signatures. En ce qui concerne les municipales, ce sont les primaires à gauche qui ont été importantes. Elles ont impliqué les citoyens dans le choix des candidats de gauche. Du coup, les gens ne s’abstenaient pas le jour du vote. Il est évident aussi que Berlusconi a accumulé les désastres. Peut-être que même en Italie il y a des limites qu’on ne peut pas dépasser. Peut-être…
Longtemps, le cinéma a été considéré comme un vecteur de lien social pour un peuple. Jusque dans les années 70, le cinéma d’auteur était aussi en Italie un cinéma populaire… Qu’en est-il aujourd’hui ?
Il y a quarante ans, je me souviens d’un débat qui avait pris forme dans le quotidien communiste Il Manifesto, alimenté par les lecteurs, autour de Cris et chuchotements d’Ingmar Bergman. Aujourd’hui, ça n’existe plus. Je pense que ça n’était pas inévitable… Les causes sont multiples, bien sûr. L’Italie vit dans une atmosphère un peu asphyxiante : les producteurs, les scénaristes et les réalisateurs manquent souvent de courage, les financements viennent des chaînes de télé, toujours prêtes à s’autocensurer… Il y a de bons films, en Italie, parfois, comme Gomorra par exemple, mais… (un temps) il faudrait recommencer à raconter ce pays.
Serge Kaganski et Jean-Baptiste Morain
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