Rencontre avec Nan Goldin au Festival Lumière à Lyon où elle présente une exposition et un film. Elle nous parle de ses ami·es, de ses souvenirs, de son travail actuel et de ses passions de cinéma.
Nan Goldin est venue à Lyon pour accompagner son amie de 40 ans, Bette Gordon. Les deux artistes présentent Variety, un film sorti en France en février 1985. Le film raconte quelques semaines dans la vie d’une jeune femme caissière dans un cinéma porno de Time Square, notamment son obsession pour un homme un peu louche, qu’elle prend en filature par pure passion voyeuriste.
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Le film ressortira en salles le 24 novembre prochain (on y reviendra). Bette Gordon l’a réalisé. Nan Goldin y interprète un rôle et a photographié son tournage. Ces images composent l’essentiel d’une exposition que lui consacre le Festival Lumière. L’expo présente aussi un court-métrage de l’artiste intitulé Sirens, fascinant montage d’images au fort pouvoir iconique, prélevées aussi bien parmi les screentests psychédéliques de Romy Schneider pour L’Enfer de Clouzot ou dans la grande scène de danse des Amants réguliers de Philippe Garrel.
Pouvez-vous nous parler de votre nouveau film, Sirens, présenté dans une salle de votre exposition à Lyon. Vous l’avez réalisé entre 2019 et 2020. Ne comporte-t-il que des images empruntées à d’autres films ?
Oui, c’est cela. C’est uniquement du found footage. Dans une version précédente, j’avais intégré quelques images que j’avais moi-même tournées. Mais j’ai finalement choisi de les retrancher.
De quoi la figure de la sirène est-elle le symbole ?
Elle figure le désir pour la drogue. Dans la légende, les sirènes chantent sur les rochers et attirent les marins sur leur île. Quand les marins ont atteint l’île, ils sont transfigurés par la puissance de leur chant et ne peuvent plus repartir. Quand ils essaient, ils sont tués. C’est une métaphore de l’addiction. J’ai fait un autre film, intitulé Memory Lost, sur ma propre addiction. Il mêle des images en Super 8 que j’ai tournées quand j’étais adolescente, des vidéos, des messages de répondeur téléphonique… Aujourd’hui, les jeunes gens ne savent plus ce que sont les répondeurs téléphoniques ! (rires) J’ai aussi fait des interviews de personnes ayant developpé des addictions violentes. Toutes les images sont de moi, contrairement à Sirens. Memory Lost est plutôt un film sur l’emprise de la drogue et Sirens sur sa puissance séductrice.
Pouvez-vous parler des images de films que vous avez choisies pour composer Sirens ?
Le film s’ouvre et se ferme sur Donyale Luna lors d’un screentest d’Andy Warhol. Donyale Luna était une mannequin vedette noire des années 1960. Elle était même la première supermodel noire aux États-Unis. Mais elle niait qu’elle était une femme afro-américaine. Elle affirmait qu’elle était une princesse égyptienne. Elle fut la maîtresse de Brian Jones. Elle est partie vivre en Italie où elle mourut d’overdose en 1979. Quand je l’ai vue jouer dans Salomè de Carmelo Bene, je l’ai trouvée vraiment extraordinairement belle et sexy. J’utilise des images d’elle filmée par Warhol, Carmelo Bene, mais aussi William Klein. Elle incarne la séduction immense qu’inspire la drogue. J’ai intercalé ces images avec d’autres, issues de films qui n’ont pas tous un rapport avec la drogue mais qui représentent des formes d’extase.
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On reconnait pas exemple des plans des Amants réguliers de Philippe Garrel…
Oui, ce film-là met en scène des personnages qui se droguent, en effet.
Considérez-vous Sirens comme votre premier film ?
Non. Je parle de beaucoup de mes travaux comme de films, même si la plupart des gens ne les considèrent pas comme tels. Ce sont de fait des diaporamas. Memory lost et Sirens relèvent davantage de l’idée qu’on se fait du cinéma, car ils ne sont pas composés d’images fixes. En tout cas, j’ai envie, à l’avenir, de faire d’autres films en found footage, comme Sirens. Car je n’ai plus tellement de désir pour la photographie.
Pourquoi ?
Parce qu’aujourd’hui tout le monde prend des photos. Tout le monde est devenu photographe. Lors du premier confinement, je vivais avec une jeune femme et je l’ai photographiée. J’ai fait également des images de ma maison. La situation du Covid-19 a fait renaître en moi le désir de photographie. J’aime beaucoup ces images et les ai montrées à New York lors d’une exposition au printemps dernier. Sinon, je n’ai plus tellement le goût de faire des photos. J’ai des archives de près de 50 000 images et j’ai plutôt envie de travailler à partir de ça.
Quels sont vos prochains projets de films ?
Je travaille en ce moment avec une réalisatrice qui prépare un documentaire sur ma vie et mon action politique.
Que pensez-vous du cinéma de Larry Clark ?
Je n’aime pas particulièrement ses films. Je pense que les adolescents sont plus complexes que l’image qu’il en donne dans Kids, par exemple. Vous savez, on me demande ce que je pense du travail de Larry Clark dans des interviews depuis 1982 ! (rires) J’ai été de fait extrêmement influencée par son travail quand j’étais jeune. Il a vraiment marqué mes premiers travaux. Mais je me suis moins intéressée à ses films. D’ailleurs, cela fait longtemps qu’il n’en a pas tourné.
Diriez-vous que le cinéma a été très important pour vous dès votre adolescence ?
Oui, le cinéma a toujours été central dans ma vie depuis l’enfance. Très jeune, j’ai été extrêmement impressionnée par les films d’Andy Warhol et de Jack Smith. Assez jeune, j’ai aussi découvert la Nouvelle Vague française. Les films de Jean-Luc Godard et Jacques Rivette m’ont beaucoup marquée. Antonioni a aussi beaucoup compté. Blow-Up a été la raison pour laquelle je suis devenue photographe.
Pourtant les images très glamour que fait le personnage dans le film d’Antonioni sont très différentes de celles que vous avez réalisées ensuite ?
Je ne pense pas. Quand j’ai vu David Hemmings photographier Verushka, j’ai vraiment voulu faire ça. Mes premiers travaux en noir et blanc sur les drag queens de Boston travaillent beaucoup sur le glamour. J’ai vécu avec ces jeunes drag queens quelques années. Elles sont les premières personnes que j’ai photographiées. Je voulais vraiment être photographe de mode, mais personne à l’époque ne voulait engager des mannequins transgenres. Nous étions obsédées par le glamour hollywoodien. Elles étaient hantées par Rita Hayworth, Greta Garbo. Elles étaient magnifiques.
Votre cinéphilie n’est pas seulement constituée du cinéma expérimental américain et de la Nouvelle Vague. Vous vous êtes aussi passionnée pour le classicisme hollywoodien ?
Oui, absolument. Dans ma jeunesse, je voyais parfois trois films par jour. J’ai vraiment dévoré des comédies américaines des années 1930 et 1940. Encore récemment, pendant le confinement, j’ai revu presque la totalité des films d’Alfred Hitchcock. Je continue à voir des films presque tous les jours.
Quels sont les derniers films que vous avez vus ?
Ce sont des films vus ici, au Festival Lumière. J’ai beaucoup aimé le documentaire de Todd Haynes sur le Velvet Underground. Avant, j’ai vu un film très peu connu de 1989, Chameleon Street, de Wendell B. Harris Jr. Le film raconte la vie d’un arnaqueur professionnel qui a prétendu être avocat, sergent, flic… C’est un film fabuleux, écrit et joué par le metteur en scène. Mais il n’a jamais ensuite obtenu l’argent pour en réaliser un autre.
Variety de Bette Gordon est-il le seul tournage durant lequel vous avez pris des photos ?
Non, je l’ai fait un certain nombre de fois. Sur des films de Sara Driver ou Vivienne Dick. Ou encore Postcards from America de Steve McLean adapté de livres de mon ami David Wojnarowicz. Mais pour revenir à Variety, le film a été tourné en partie dans le bar où je travaillais à Time Square. C’était quasiment ma maison. J’y bossais le jour et la nuit. C’était un bar très dur, fréquenté par des femmes très fortes, des sex workeuses, mais aussi des dealers, des gangsters. J’y ai travaillé plusieurs années. Les scènes du film dans le bar sont tournées avec des amies à moi, mais elles ne reflètent pas vraiment la réalité de ce bar, qui était plus violente.
“Je ne crois pas à la nostalgie. Je pense que c’est une forme de mort”
Documenter le tournage d’un film en faisant des images était une activité qui vous intéressait ?
Je ne dirais pas ça. J’ai fait des images sur les tournages de Sara Driver ou Vivienne Dick parce qu’elles étaient mes amies. J’avais juste envie de passer du temps avec elles, de les accompagner dans leur travail. Vivienne Dick est une très grande cinéaste pas assez reconnue. Ses films racontent la vraie histoire de ce qu’était le Lower East Side à l’époque. Lydia Lunch joue dans certains de ses films. Certains sont des films narratifs, d’autres pas. Tous sont incroyables. Le cinéma de Vivienne a beaucoup influencé la première partie de mon travail. Particulièrement dans sa façon d’utiliser la musique.
Avez-vous été proche de Jim Jarmusch à cette époque ?
Pas vraiment. J’étais plus proche de Sara (Driver, qui fut l’épouse et la productrice de Jarmusch, ndlr).
Et d’Amos Poe ?
Je l’ai connu oui, à la fin des années 1970. Nous faisions partie du même monde.
De Jean-Michel Basquiat ?
Je l’ai aussi croisé quelques fois.
Ce moment artistique, ce monde créatif qu’était New York autour de 1980, vous y pensez aujourd’hui avec nostalgie ?
Pas du tout. Je ne crois pas à la nostalgie. Je pense que c’est une forme de mort. Les gens qui sont aujourd’hui nostalgiques du New York des années 1980 n’y étaient pas. Ils sont nostalgiques d’un style vestimentaire ou de musiques dont ils ne furent pas contemporains. Ils ne sont pas nostalgiques d’un monde pré-Internet, ou de la saleté de NYC à l’époque, ou des conditions de logement… C’était un moment fabuleux à vivre, mais aussi très dur qui nécessitait d’avoir un rapport très fort à la survie et qui n’avait pas grand-chose à voir en vrai avec l’imagerie nostalgique que certains véhiculent aujourd’hui.
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