Un premier film très réussi sur la sidération des premiers émois sexuels teenage.
On ne peut pas dire que les eaux dans lesquelles naissent ces pieuvres soient les moins fréquentées du jeune cinéma d’auteur. Il y a même un lien organique, et assez typiquement français (sous les auspices Vigo/Truffaut), entre deux types de première fois : la réalisation d’un premier long métrage et le passage de l’enfance à l’âge adulte. Dans ce cadre ainsi familier de jeune cinéma et cinéma de jeunes, Naissance des pieuvres a donc un certain mérite à s’aménager un petit territoire à soi, à tracer ses propres chemins de traverse et affirmer au final moins de ressemblances et plus de singularité.
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Quelques films cousins pour mieux cerner l’écart que creuse Céline Sciamma. Dans sa façon de parler de désirs triangulaires sur fond de discipline sportive, le film évoque Douches froides, mais substitue à l’univers des sports de combat du film d’Antony Cordier celui, strictement féminin, de la natation synchronisée. Et si cette immersion dans le féminin, conjuguée à une extrême attention accordée aux mutations du corps, font penser cette fois à La vie ne me fait pas peur, le film étonne par l’étrange calme qui le domine, une sorte de froideur, un goût de l’à-plat narratif aux antipodes de la cocasserie énervée et empathique de Noémie Lvovsky. Naissance des pieuvres décrit un moment de spasme, mais avec une distance et un détachement troublants.
La violence du film est donc implosive, rarement relayée par du discours, jamais extériorisée par des fous rires ou des crises de larmes. Marie, qui découvre son attirance sexuelle pour une fille ; Anne, la rondouillette amoureuse d’un bogosse de l’équipe de water-polo ; Floriane, la bombasse que tout le monde prend pour une fille facile et qui flippe parce qu’elle est vierge : chacune ronge son frein et fait l’expérience – simultanément mais seule – de la frustration, dont le seul dépassement possible est le lent et douloureux ajustement du désir au réel. Se contenter d’un baiser et un seul, probablement sans suite ; coucher avec le mec de ses rêves parce qu’il n’a pas trouvé mieux… Les jeunes pieuvres découvrent qu’un désir n’est jamais assouvi qu’à demi, que ce qui est obtenu ne comble jamais le manque. C’est là leur seul apprentissage.
Céline Sciamma a indéniablement un regard, un univers, un ton. Et aussi, déjà, beaucoup de maîtrise, du cadre, du rythme, de la direction d’acteurs. Cette discipline sent encore un peu l’angoisse du débutant soucieux du plus grand contrôle. Le film est logique, tenu, très bouclé. Méthodiquement, il décline les fluides (bains, douches, taches de sang, crachats – d’eau puis de salive). Il rétrécit l’univers au caisson d’obsessions de ses personnages (pas de parents, pas de lycée, aucune extériorité à leur problématique). Au-delà de la cohérence, de l’homogénéité (qui pourrait être une limite), le film touche à une forme d’entêtement fébrile qui le fait exister très fortement.
Jean-Marc Lalanne
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