Nadia est une mère de famille Rmiste qui rejoint, le temps d’une nuit, un petit groupe de cheminots grévistes, pendant le mouvement social de décembre 95. Les hippopotames, ce sont les grévistes et, d’une manière plus générale, les travailleurs syndiqués du service public : ils opposent le poids de leur tradition, la lourdeur de leur […]
Nadia est une mère de famille Rmiste qui rejoint, le temps d’une nuit, un petit groupe de cheminots grévistes, pendant le mouvement social de décembre 95. Les hippopotames, ce sont les grévistes et, d’une manière plus générale, les travailleurs syndiqués du service public : ils opposent le poids de leur tradition, la lourdeur de leur statut à une époque néolibérale qui ne parle que de légèreté, de mobilité, de flexibilité, de produits allégés.
En débarquant parmi les hippopotames, Nadia va déclencher une série de réactions et de discussions en chaîne où seront abordés, croisés et recroisés tous les enjeux et lignes de débat du mouvement social : grévistes et non-grévistes, secteur public et secteur privé, travailleurs et chômeurs, salariés et Rmistes, syndicalisme et politique, gauche et droite, sans oublier les atermoiements sentimentaux et recompositions de couples visant à faire fictionner et humaniser tout ce matériau très théorique.
Si l’on adhère en gros au projet politico-social de Dominique Cabrera, c’est moins le cas sur le plan cinématographique. Nadia et les hippopotames confirme une certaine tendance du cinéma observée en ces années 90 : il est devenu de plus en plus difficile de marier heureusement fiction et sujet sociopolitique, cinéma narratif et cinéma d’intervention. Le réalisme est un style extrêmement exigeant et réclame une force expressive hors du commun pour éviter les « effets de réel ». Or, dans le film de Cabrera, on est en plein dans l’artificialité foncière desdits « effets de réel » : on choisit un échantillonnage représentatif de tous les types de grévistes, on crée des situations qui vont amener à tour de rôle tous les éléments du débat social, et on saucissonne l’austère matière collective en instaurant à intervalles réguliers des pauses sentimentales. Ce sentiment de « faux » est évidemment renforcé par notre connaissance du fait que les grévistes sont des comédiens.
Ainsi, nombreux sont les moments du film où l’on se dit qu’il aurait été beaucoup plus fort si c’était un documentaire, si Cabrera avait vraiment filmé les vraies grèves de 95. Toute la force du Reprise d’Hervé Le Roux provenait de son authenticité, de notre conscience que toute cette histoire Wonder était vraie. En matière de « cinéma sociétal », mieux vaut du documentaire qui fictionne que de la fiction qui imite le réel à moins de posséder le génie d’un Renoir ou d’un Pialat. De plus, Nadia et les hippopotames s’avère impuissant à dépasser les enjeux du mouvement de 95 et ne fait que récapituler ce qu’on a déjà pu lire à longueur d’éditoriaux depuis quelques années sur l’état de la gauche et de la classe ouvrière.
Le film accroît même notre mélancolie en nous rappelant que, quatre ans après, tout est rentré dans l’ordre cet effet de désenchantement étant peut-être le coeur secret du film. Le projet de Cabrera est courageux et ambitieux (comment faire aujourd’hui du cinéma politique ?), mais il se solde globalement par un échec. Pour être juste, il faut retenir la performance des acteurs, la subtilité de Philippe Fretin, l’énergie de Thierry Frémont et la grâce de Marilyne Canto.