Un exercice hitchcockien très réussi déguisé en teen-movie vicieux, où Sueurs froides rencontre Billy Elliot.
Pourquoi rendre hommage à Hitchcock ? Pour le plaisir de la copie, pour être aux trousses de son efficacité ou restituer son pouvoir permanent de fascination. L’été dernier, un film comme Paranoïak échouait à replacer Fenêtre sur cour dans un contexte teen et YouTube (où des ados seraient poussés au voyeurisme parce que blasés). Mais il esquissait ce que My Name Is Hallam Foe réussit tout à fait : revitaliser l’hommage, greffer les névroses hitchcockiennes (pulsion scopique, culpabilité, obsession) sur une trame d’adolescent en crise, non en pastichant leur forme mais en les acclimatant sous des atours contemporains (BO de rock écossais impeccable, d’Orange Juice à Franz Ferdinand, et mise en scène très découpée, caméra à l’épaule).
Le film est remarquable, car finalement peu ostentatoire quand au tribut hitchcockien : l’intro découvre un freak un peu autiste, genre enfant sauvage, puis un générique animalier animé et faussement naïf. On se pince alors : mais oui, cette histoire d’un fils voyeur, vivant dans un château, maladivement attaché au souvenir de sa maman morte mystérieusement sur une barque, et en guerre contre la nouvelle épouse de son papa, c’est à peu de chose près Rebecca, avec Hallam Foe/Jamie Bell (Billy Elliot) dans le rôle de l’odieuse gouvernante inquisitrice.
Puis tranquillement, le film passe du gothique au roman d’apprentissage (Hallam arrive à Edimbourg, trouve un job et un premier amour), mais en faisant cumuler tout du long chez son héros les rôles de James Stewart, Cary Grant sur les toits de La Main au collet ou Anthony Perkins en meilleur ami de sa mère dans Psychose. Cela pourrait être un gadget mais Bell sublime, fait oublier ces figures en incarnant joliment un moineau ébouriffé (Les Oiseaux ?) à la fois gauche, gracieux – esquissant un pas de danse quand il est content, Billy Elliot forever – et inquiétant. La force du film est d’ailleurs de rendre fragile et attachant un personnage de véritable pervers sur le papier, et à passer en contrebande, délicatement, comme si de rien n’était, des situations vicieuses qu’un autre cinéaste aurait traitées avec emphase ou grotesque : inceste figuré, meurtre ou confession littéralement à nu. Ici, la scène séminale de Sueurs froides – où le sosie de l’être aimé revêt enfin les bons habits tant fétichisés – induit aussi bien la douleur des premières fois qu’une libération. Sur la fin, si My Name Is Hallam Foe démêle un peu trop vite les nœuds œdipiens et les secrets de famille, il laisse une drôle de saveur, parfaitement douce-amère. Hitchcock appelait ses films des “tranches de cake” ; celui-ci est un petit gâteau surprise au cœur à la fois léger et noir.