Ce qui frappe dans Muriel, c’est avant tout l’écriture cinématographique de Resnais. Par un montage saccadé, alternant des instants de vie et des fixations sur une main ou un objet, Resnais tente de saisir les pensées de ses personnages et d’accélérer leur pouls mortifère. Par ces plans, il incise la chair de son récit, lui […]
Ce qui frappe dans Muriel, c’est avant tout l’écriture cinématographique de Resnais. Par un montage saccadé, alternant des instants de vie et des fixations sur une main ou un objet, Resnais tente de saisir les pensées de ses personnages et d’accélérer leur pouls mortifère. Par ces plans, il incise la chair de son récit, lui inflige rudesse et cruauté et multiplie les entrées de son cinéma. Parfois, c’est comme s’il nous jetait les plans au visage.
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Resnais traque la mort qui sous-tend tout le film. Enfermés à Boulogne-sur-Mer, ville recouverte des stigmates de la Seconde Guerre mondiale, ses personnages sont déplacés, tout autant que les lieux. L’appartement d’Hélène, antiquaire à domicile, est traversé par les siècles, les époques s’y côtoient, mais le présent ne parvient pas à occuper les murs. Le passé est planté dans le présent, les êtres sont physiquement et mentalement encadrés par les guerres qui se succèdent sans répit et tous sont embourbés dans une mémoire morte (à l’exception de Françoise).
Resnais introduit le présent par des incrustations documentaires qui montrent les ruines aux côtés de nouvelles constructions dressées comme des intrus, mais aussi les falaises s’élevant sur la mer et l’ancienne porte de la ville, comme une entaille dans le temps, par laquelle Bernard se retire du monde, dans son atelier semblable à un bunker. Il rentre tout juste d’Algérie, où il a fait la guerre « comme tout le monde », mais le souvenir de Muriel lui interdit toute nouvelle vie. Ravagé par cette mémoire, ne souffrant plus aucun compromis ni mensonge, il ne peut plus que se tenir en marge. Hélène (sa belle-mère), elle, tente de ranimer l’amour qui l’a liée à un ancien amant revenu, dans une quête obsessionnelle et morbide du moindre souvenir, comme pour se prouver, en contrepoint des abominations des guerres, qu’elle a été capable d’amour. Tous se fuient ou se parlent la peur au ventre, apparaissent et disparaissent derrière les portes… Ils font songer à des revenants dans une ville labyrinthique, éternellement prisonniers d’une histoire qu’ils n’ont jamais maîtrisée. Ils ne parviennent pas à s’inscrire et ne pensent qu’à se terrer. La musique ponctue les très beaux dialogues de Jean Cayrol, agit comme une coupe sèche ou charrie ce qui gronde en chacun d’eux. En fait, dans Muriel, il n’y a que la mort qui parvienne à s’écrire.
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