D’un film qui réunit neuf millions de Français en dix jours, on attend qu’il soit au moins une impeccable machine à symptômes. Quel nerf Bienvenue chez les ch’tis touche-t-il avec tant de précision qu’un pays entier s’y rue et veuille s’y reconnaître ? On peut invoquer les raisons de saison et avancer que Dany Boon […]
D’un film qui réunit neuf millions de Français en dix jours, on attend qu’il soit au moins une impeccable machine à symptômes. Quel nerf Bienvenue chez les ch’tis touche-t-il avec tant de précision qu’un pays entier s’y rue et veuille s’y reconnaître ? On peut invoquer les raisons de saison et avancer que Dany Boon a réussi le parfait film d’accompagnement des municipales, soucieux lui aussi d’enjeux locaux, politique de proximité, bon voisinage, et envisageant la France comme une juxtaposition de régions, bourgades, clochers. Mais le régionalisme du film a quelque chose de plus retors. Un vrai face-à-face régional à l’ancienne (modèle La Cuisine au beurre, avec Bourvil et Fernandel) aurait plutôt opposé le ch’ti Dany Boon et le méridional Patrick Bosso (présent mais comme simple motard). Or la nouveauté, ici, c’est l’apparition d’un corps intermédiaire. Le personnage qu’interprète Kad Merad n’est, en effet, ni vraiment du Sud ni du Nord (il est bien de Provence, mais de Salon) : il est en déplacement. Ce qui compte dans Bienvenue chez les ch’tis, ce n’est donc pas tant “les ch’tis” que le “(bien)venue”. C’est plus un film sur des allées et venues (et la vie qui va avec) que sur une région. Ou, plutôt, les régions ne valent que comme point d’arrivée ou de départ. L’humour de terroir cède ici la place à un comique de gare et d’autoroute. Quand Kad en a fini d’arriver, c’est à sa femme de le faire à son tour. Et quand les deux sont arrivés, on passe directement à la scène de départ. La terrible misogynie du film ne consiste pas seulement à filmer plutôt le folklore de l’amitié masculine que la comédie de remariage (purement fonctionnelle). Il tient aussi à ce que la femme y soit assimilée pour l’essentiel au foyer sédentaire : que cela soit l’épouse dépressive qui refuse de partir avec son mari ou la mère castratrice qui refuse de laisser partir son fils.
S’il y a symptôme, c’est de ce côté-là : les Français voulaient apparemment se voir comme des déplacés de l’intérieur. Or ce désir correspond autant à une réalité sociologique (les gens ne travaillent plus dans la ville où ils sont nés) qu’au refoulement d’une autre : la mondialisation (celle-là c’est plutôt L’Heure d’été, et sa génération d’enfants travaillant de New York à Shanghai, qui la porte). C’est ce montage malin entre une pertinence et une dénégation qui est au cœur du film. La mise en scène des régions permet, en effet, de parler des problèmes liés à la mondialisation mais en les ramenant à l’échelle nationale : ce n’est plus la grande angoisse des délocalisations, c’est la petite peur des mutations professionnelles. Dans Bienvenue chez les ch’tis, il n’y a que du déplacement mais pas d’étranger (le seul pays étranger mentionné ici, c’est la Belgique) et pas non plus d’étrangers. Coup de génie du casting : demander à Kad Merad, né en Algérie, de rejouer nos mutations régionales, en enjambant la question de l’immigration. Les raisons du succès du film ? Traduites en proverbe ch’ti, elles tiendraient à ceci : “C’n’est pô pass qu’on n’est plus d’ici qu’on doit êt’ d’ailleurs.”
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