Une compétition qui relève la tête en nous présentant trois propositions fortes.
Trois films, vus en compétition, nous ont rassurés : il existe encore des cinéastes attaché·es à la forme, à la mise en scène.
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The Eternal Daughter de Joanna Hogg
Une femme et sa mère (toutes deux jouées par Tilda Swinton) débarquent un soir en taxi dans un manoir isolé, dont la réputation est d’être hanté. Devenu aujourd’hui un hôtel vide, il fut celui où cette mère, aujourd’hui âgée, vécut son enfance dans sa famille de la gentry. La femme est cinéaste et a une idée bien précise derrière la tête : faire parler sa mère de cette enfance. Ce sera son prochain film.
La réussite humble de l’auteure des Souvenirs tient à ce qu’elle donne à imaginer, plus que ce qu’elle montre. Que nous montre-t-elle ? Un lieu gothique, sorte de cliché britannique. Elle en tire d’abord une sorte de satire sociale sur ces lieux anciens devenus des hôtels de luxe désertés, habités par quelques vieux domestiques abandonnés. On pense même parfois à Shining. Jusqu’à ce que l’émotion, celle de la mère, bouleversée par les lieux, nous submerge, la submerge et nous entraîne ailleurs, de l’autre côté du miroir. Le film, produit par Martin Scorsese, est tout en délicatesse, en humour léger, en nostalgie, et parfaitement maîtrisé.
Love life de Kōji Fukada
Encore un objet bizarre. Tout débute dans une petite famille japonaise recomposée. Taeko vit avec son époux Jiro et son fils Keita, né d’un premier mariage, en face de chez ses beaux-parents. Alors qu’elle découvre que son nouveau mari lui a caché qu’il avait rompu brutalement avec sa précédente amoureuse pour se marier avec elle, Taeko voir débarquer son premier mari (dont nous ne dirons rien), le père biologique de Keita, à l’occasion d’un drame. Taeko se trouve embringuée malgré elle dans un voyage délirant en Corée. Autre étrange film – à la maîtrise formelle qui ne laisse aucune place au hasard – parce que Fukada manie le mélange des genres avec une cruauté très originale, là aussi. Il passe allègrement de la tragédie à la comédie sans aucune transition, décrivant une humanité perdue, folle, qui fait n’importe quoi, n’importe comment. La fin, magnifique, est à la fois amère… ou pleine d’espoir. À chacun d’en décider. Avec ici aussi un petit fantôme qui veille…
Saint-Omer d’Alice Diop
C’est le premier long métrage de fiction de la documentariste Alice Diop, récompensée pour un court métrage (Vers la tendresse) aux Césars en 2017. Le scénario de Saint-Omer a été écrit par Alice Diop avec sa monteuse, Amrita David, et la romancière Marie NDiaye. Le film s’inspire d’un fait divers : Laurence, une jeune étudiante d’origine sénégalaise, mariée à un vieil homme blanc sans considération pour elle, est jugée pour la mort de son enfant, retrouvé noyé sur une plage de Normandie. Elle reconnaît les faits, mais elle se dit victime d’un ensorcellement. Rama, une jeune romancière française d’origine africaine elle aussi, assiste au procès, qui se tient à Saint-Omer (Haut-de-France). Elle qui ne veut pas d’enfant ou qui a du mal à en accepter l’idée est bouleversée par cette maternité étrange, qui a amené une femme à tuer un enfant.
C’est une réussite impressionnante, grâce à une mise en scène et du plan fixe qui repose énormément sur le hors champ – comme pour orchestrer une symphonie de voix, de cultures qui se contredisent et tiraillent une femme, celle qu’on juge. Les comédiennes (Guslagie Malanda, Kayije Kagame, Aurélia Petit et Valérie Dréville) sont exceptionnelles.
Très troublant, le récit de cette Médée moderne, à la fois rationnelle et travaillée par un imaginaire qui lui échappe, nous interroge, nous aussi, sur notre rapport à la vérité.
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