L’arnaque Sorrentino frappe encore une fois en embarquant Jude Law dans les tribulations pompiéristes d’un pape borderline… Les espoirs du jour sont plutôt français.
Ce samedi matin, la foule festivalière se pressait pour découvrir le nouveau « chef-d’œuvre » du « génie » local, Paolo Sorrentino, qui se vit probablement comme l’héritier naturel de Fellini et de Risi, le cousin surdoué d’Almodovar et des frères Coen. Présenté en compétition, son nouveau film est en fait constitué des deux premiers épisodes de sa série, The Young pope, starring Jude Law, Diane Keaton, Cécile de France, Ludivine Sagnier, Javier Camara, Silvio Orlando, etc. Un pape joué par le (encore presque) jeune et beau Law, on imagine le tableau : un pape moderne, rock star, qui doit autant si ce n’est plus à Bono ou Daft Punk qu’à Jean-Paul II ou Pie XII. Ce pontife imaginaire s’appelle d’ailleurs Pie XIII. On a bien imaginé, c’est à peu près ça : notre Jude Pie XIII s’est retrouvé au sommet de l’Eglise suite à des magouilles des cardinaux qui l’ont élu pour mieux le manipuler. Mais Pie ne croit pas vraiment en dieu, il rêve de femmes nues et boit du cherry Coke zéro au petit dej’ (vanne récurrente). Lui-même va faire espionner ses cardinaux et ministres.
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Cette vision shakespearienne du pouvoir catholique, rongé par les rivalités, les ambitions, les complots, les intrigues, est sans doute la meilleure de cette série, même si ce n’est pas vraiment original. Pour le reste, on a droit à beaucoup de vannes anticléricales grossières ou mille fois vues (on est loin de l’ironie d’un Fellini ou d’un Moretti) et une mise en scène toujours tape-à-l’œil, avec ses travellings intempestifs qui n’ont aucune nécessité si ce n’est celle pour Sorrentino de (se) prouver qu’il est un grand cinéaste baroque. D’ailleurs, il a beau vouloir tailler et railler l’Eglise dans son scénario, sa mise en scène a recours à toute l’iconologie chrétienne (contre-plongée, rais de lumière, monumentalité, déférence pour les ors du Vatican…). Dans les années soixante-dix, j’étais jeune et impressionné par les discothèques italiennes, leur démesure, leurs décos bunga bunga de mauvais goût. Le cinéma de Sorrentino m’y fait penser : même faux luxe prétentieux, même vulgarité clinquante et même poudre aux yeux tocarde.
On a enchaîné avec Brimstone de Martin Koolhoven, comme de Charybde en Scylla. Mazette, quelle compète ! Ou plutôt quelle branlette, celle qu’administrent à leurs ego turgescents des réalisateurs médiocres qui se prennent pour des grands maîtres. Dans la ville du Titien et de Tintoret, ça fait désordre. Brimstone est un western enluminé où la charmante Dakota Fanning joue une jeune femme harcelée par un père pasteur psycho-rigide, pervers, incestueux, pédophile, criminel et… c’est tout ? Non, il a aussi une sale gueule avec cicatrice sur la joue et sourire aux abonnés absents. Voyons, que disait Hitchcock à propos des méchants réussis ? Koolhoven a manifestement oublié, ou ne l’a jamais su. Il a aussi oublié de créer des personnages complexes.
Par contre, il n’a pas oublié de se regarder filmer, mettant deux heures trente à mener laborieusement un récit qui pourrait se boucler en une heure. Le chef-op est bon, la musique est omniprésente et tonitrue aux moments émotionnels décisifs (le spectateur est peut-être débile, on ne sait jamais) et le film est globalement aussi nul que prétentieux. On ajoutera que tout cinéaste qui fait applaudir le public quand la gentille se venge enfin du méchant (vengeance qui est inscrite dans le film comme le nez sur le visage dès les dix premières minutes) est un enfoiré. Koolhoven devrait non seulement apprendre à lire ou regarder Hitchcock, mais aussi voir ou revoir La Prisonnière du désert de John Ford et le « let’s go home Debbie ! », proféré par John Wayne à la fin du film.
https://youtu.be/vlrpwNlLsRA
Après ces deux critiques subtiles du catholicisme et du protestantisme, le baromètre ciné s’est amélioré sans atteindre les sommets avec Réparer les vivants de Katell Quillévéré, présentée dans la section Orizzonti. Adaptant le roman de Maylis de Kérangal (je ne l’ai pas lu mais il est largement considéré comme un grand livre), Quillévéré oscille entre trois pôles : le pathos émotionnel dû à la perte d’un proche, le portrait de familles moyennes très qualité française et le thriller techno avec le suspens millimétré d’une transplantation cardiaque. C’est clairement ce troisième aspect qui m’a le plus séduit, mais on reviendra vite vers ce film qui sort prochainement.
On s’apprêtait à finir la journée penaud, la queue cinéphile toute molle entre les jambes quand la lumière est enfin venue à la Settimana della critica (vive la critique !) avec Jours de France de Jérôme Reybaud. Je ne connaissais rien de ce réalisateur mais son film est vraiment superbe. Un jeune homme (Pascal Cervo, éternellement jeune) quitte un matin son compagnon (Arthur Igual) pour prendre la tangente sur les routes de France, dériver au hasard des rencontres, sexuelles ou pas. L’amant délaissé se lance à sa poursuite, tentant de le géolocaliser via Grinder (site de drague homo).
Jours de France est donc un road-movie très contemporain, une errance dans la France provinciale des petites villes, des départementales et des bleds oubliés, ainsi qu’une course poursuite amoureuse. D’humeur mélancolique, le film est aussi parfois très drôle, comme ce passage avec Jean-Christophe Bouvet qui raille le « vivre ensemble » en se plaignant que les politiques ne parlent jamais du « crever seul ». Chemin faisant, on croise aussi des femmes merveilleuses jouée par des actrices que l’on se fait une joie de revoir (Fabienne Babe, Liliane Montevecchi, Nathalie Richard, Marie-France, Laetitia Dosch…). Profond, délicat, inspiré, absolument pas ramenard, Jours de France ressemble au plus beau film de Vecchiali depuis un bail, et il est donc signé Jérôme Reybaud. Sorrentino et Koolhoven devraient aller le voir.
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