Jusqu’ici, tout allait bien. Attablé en terrasse d’un café montmartrois devant une Kro bien fraîche, j’écoutais Jean-François Rauger m’expliquer que tout le cinéma moderne était tendu vers l’impossible connaissance de l’orgasme féminin. En connaisseur, j’acquiesçais aux propos du jovial programmateur de la Cinémathèque française. Il allait enchaîner sur la pulsion homosexuelle chez Aldrich quand surgit […]
Jusqu’ici, tout allait bien. Attablé en terrasse d’un café montmartrois devant une Kro bien fraîche, j’écoutais Jean-François Rauger m’expliquer que tout le cinéma moderne était tendu vers l’impossible connaissance de l’orgasme féminin. En connaisseur, j’acquiesçais aux propos du jovial programmateur de la Cinémathèque française. Il allait enchaîner sur la pulsion homosexuelle chez Aldrich quand surgit dans notre champ de vision un troll vêtu d’un coquet pyjama blanc. De longs cheveux blonds à la Veronika Lake tombaient sur les épaules de la curieuse créature et Jean-François me fit remarquer qu’elle était affligée d’un strabisme nettement convergent. En hommes d’expérience qui en ont vu d’autres, nous n’y pensions déjà plus quand les échos étouffés d’une violente dispute nous parvinrent :
« Pas de hippies chez moi ! », hurlait monsieur Raoul, le sympathique limonadier.
« Mortal kombat ! », lui répondait l’être étrange venu d’ailleurs.
Sorti manu militari du troquet, l’ectoplasme vint se fracasser contre notre table et leva vers nous un regard suppliant. Mon camarade et moi dûmes alors nous rendre à l’évidence : la cotonnade blanchâtre qui pataugeait dans nos bières n’était autre que Christophe Lambert.
« Mor… Mortal kombat ? », se risqua celui qui fut l’idole de tout un peuple.
« Pas tant que toi ! », lui répliqua Jean-François qui ne manque pas de reparties, surtout depuis qu’il écrit au Monde.
« Qu’est-ce-que tu fabriques, Christophe ? Tu n’as pas honte de te mettre dans des états pareils ? Que diraient Ferreri et Cimino s’ils te voyaient ? », l’admonestai-je rudement tout en commandant deux nouvelles bières et un lait-fraise pour le petit.
Alors, Cricri se lança dans une explication confuse d’où il ressortait que c’était pas sa faute, qu’il avait des impôts à payer et qu’il était en pleine tournée-promo de son dernier film, Mortal kombat.
« M’étonnerait qu’on puisse appeler ça un film ! », grogna l’implacable critique des Cahiers.
« Vous êtes des vilains et je vais vous précipiter dans le royaume d’Outremonde ! », éructa Rayden, le dieu du Tonnerre, tout en trépignant pour obtenir une paille.
Sentant l’ami Rauger au bord du fou rire nerveux, je calmai les esprits et sommai Tophe de s’expliquer :
« Ben, j’crois qu’j’me suis fait avoir : je devais passer chez Gildas et Drucker pour parler du film et, en fait de télé, y m’ont chargé de faire tous les troquets de Paris pour fourguer la dernière version du jeu-vidéo dont est tiré le scénar’. J’me fais jeter de partout et ça fait du bien de parler à des amis comme vous deux. J’peux avoir un autre lait-fraise ? »
« Oui, Christophe. Mais pourquoi tu fais ça ? T’as rien d’autre en vue ? », m’enquis-je avec le même ton patient que je prends toujours quand je discute foot avec ma copine.
« Ah, si, si ! J’ai déjà signé pour Mortal kombat 2, le retour : je reviens et je suis toujours content. Après, je ferai Paroles et musiques 2 : cette fois, je jouerai Paroles et Anconina fera Musiques. Bon, je vous quitte parce qu’y faut qu’je change de pyjama. »
« Que de misère humaine… », conclut Jean-François, toujours philosophe quand il a bu.
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