La célèbre actrice allemande des “Larmes amères de Petra von Kant” et de “Martha” est morte à Heide, à l’âge de 83 ans.
Fille de médecin, Margit Carstensen s’engage rapidement dans une carrière de comédienne. Elle joue d’abord à Hambourg, puis rejoint Brême en 1969 où elle rencontre Rainer Werner Fassbinder. À partir de là, elle fera partie de la troupe régulière du metteur en scène et cinéaste, aux côtés d’Hanna Schygulla, Irm Hermann, Ingrid Caven ou Brigitte Mira. Elle commence par tourner avec lui plusieurs films pour la télévision, avant de tenir le rôle principal des Larmes amères de Petra von Kant.
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La poupée de Fassbinder
Elle y joue une célèbre créatrice de mode retranchée dans son appartement, qui ressasse son amour pour une jeune mannequin jusqu’à la folie. Tour à tour blonde, brune et rousse, elle ne cesse de se maquiller, de se parer des plus beaux atours et de changer de vêtements. Ce rôle préfigure déjà l’ensemble de sa collaboration avec Fassbinder : elle est une poupée, enfermée dans un appartement (Les Larmes amères…, Peur de la peur), dans une grande maison bourgeoise (Roulette chinoise, Martha) ou dans son propre corps (la fin, terrifiante, de Martha). Son fard à paupières, son rouge à lèvre et son sourire figé finissent par former un masque qui recouvre les affects les plus monstrueux.
Au fil de ses rôles, un accessoire de mise en scène ne cessera d’accompagner ses apparitions : le miroir. Il permet d’abord à chacun de ses personnages de se contrôler, comme pour vérifier que son masque est en place et qu’il sauve bien les apparences. Mais il est aussi une manière pour le cinéaste de figurer l’extrême solitude de ses personnages, toujours enfermés dans les mirages et les illusions. La surface du visage n’est plus le lieu de l’expression des sentiments, mais il est un masque mortifère, qui étouffe toute intériorité.
Le vernis craque
En ce sens, Margit Cartensen est une sorte d’actrice au carré. Elle ne joue que très rarement une émotion au premier degré, mais cherche toujours à dissimuler ses affects les plus profonds derrière une émotion de façade. Dans Martha, elle dissimule la peur que lui provoque son mari tortionnaire derrière un calme apparent ; dans Peur de la Peur, elle performe la mère heureuse pour cacher sa dépression et ses angoisses.
Son jeu a quelque chose de proprement vertigineux : les micro-oscillations de son visage et son inexpressivité sont autant d’indices qui trahissent l’écart qui sépare l’extériorité de l’intériorité de son personnage – d’où l’étrangeté de sa beauté, où un sourire semble toujours cacher la démence ou la cruauté. Comme pour toutes les grandes actrices et acteurs, le corps de Margit Cartensen devient le moteur de la mise en scène. À l’immobilité des traits répond l’extrême dynamisme de la caméra. Les travellings, panoramiques et recadrages de Fassbinder viennent scruter son visage et font craquer le vernis des apparences pour faire sourdre l’abîme existentiel de ses personnages.
Si la notoriété de Margit Cartensen doit beaucoup au cinéma de Fassbinder (citons également Le Rôti de Satan, La Troisième génération, Le Monde sur le fil, Huit heures ne font pas un jour), elle a tenu quelques rôles pour d’autres cinéastes allemands, comme avec Ulli Lommel pour La Tendresse des loups. Elle sera également remarquée dans Possession d’Andrzej Żuławski dans un rôle qui, aujourd’hui, nous ramène une nouvelle fois à Fassbinder. En effet, elle partage l’affiche avec Isabelle Adjani, qui a joué en 2022 dans le remake des Larmes amères de Petra von Kant par François Ozon.
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