Ce mercredi 5 février est mort Kirk Douglas, l’une des toutes dernières figures de l’âge d’or d’Hollywood, une star engagée qui a su aussi faire le lien avec le Nouvel Hollywood.
Je crois que Les Vikings de Richard Fleischer (1958) est le premier film dans lequel j’ai vu jouer Kirk Douglas. J’étais enfant et il me faisait très peur. Le rôle, me direz-vous. Oui, face au gentil esclave brun Tony Curtis, il incarnait le méchant blond, musculeux, le fils du chef du clan, viril, violent, jaloux, rancunier. Le faucon que dressait Curtis le défigurait et l’éborgnait à jamais. Mais son œil restant brûlait toujours de la même intensité. On parle beaucoup de la fossette de Kirk Douglas – à juste titre, ne serait-ce que parce qu’elle atténuait la forme particulièrement pointue de son menton –, mais je crois que c’est son regard incandescent, toujours à la limite de la folie, brûlant d’hubris, souvent accompagné d’un sourire carnassier, qui traversait l’écran et faisait aussi peur.
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Comment était l’enfant que fut Kirk Douglas, de son vrai nom Issur Danielovitch, mais qui se faisait appeler Izzy Demsky (le nom de famille pris par son oncle à son arrivée aux Etats-Unis, quelques années avant les parents de Kirk) ? Pauvre. Son père est chiffonnier, sa mère reste au foyer, il a six sœurs. Ils vivent à Amsterdam, dans l’Etat de New York (près d’Albany, donc très loin de NYC), en proie à un antisémitisme qu’ils ont fui en partant de la Biélorussie dont ils sont originaires (mais l’antisémitisme russe, c’étaient les pogroms, les massacres…), à mi-chemin (600 km) entre Varsovie et Moscou.
Izzy a du caractère. La vie est rude. Il écrit dans ses mémoires, qui remportent un grand succès (Le Fils du chiffonnier, en 1988) : “Si ma mère avait cru en moi, je serais sans doute devenu secrétaire.” C’est un dur à cuire. Il exerce plein de petits boulots pour se payer ses études, luttant aussi pour que les juifs puissent étudier… Se politise, en somme (il sera toute sa vie démocrate). Il pratique la lutte, découvre le théâtre. Monte à New York. Fait la connaissance d’une jeune actrice venue du Bronx, Betty Joan Perske, qui choisit bientôt le pseudo de Lauren Bacall (vous connaissez ? Encore un regard…) et qui, au sortir de la guerre pendant laquelle il a combattu et où il a été blessé, lui permet de pénétrer le monde du cinéma : Bacall, devenue une star, présente Douglas au producteur de la Warner, Hal B. Wallis. Il débute – il a déjà 30 ans ! – dans L’Emprise du crime de Lewis Milestone (1946).
Le feu brûle déjà dans ses yeux. Il va jouer plein de rôles de “fils de pute” (notamment dans le génial Pendez-moi haut et court ou La Griffe du passé de Jacques Tourneur en 1947), comme il le disait lui-même. C’est Joseph L. Mankiewicz qui découvre en lui un acteur qui peut jouer autre chose que des canailles, dans le très beau Chaînes conjugales.
C’est pourtant grâce à un rôle physique qu’il accède aux premiers rôles et au succès, avec Le Champion (1949), l’histoire d’un boxeur pauvre et arriviste dans lequel Douglas met beaucoup de lui (sans doute de sa jeunesse) et du sien (il s’entraîne comme un malade pour être crédible, bien longtemps avant Robert De Niro pour Raging Bull de Scorsese). Détail qui n’en est pas un : Kirk Douglas appartient à la famille des acteurs hollywoodiens qui n’ont pas connu ou fait l’Actor’s Studio. D’où un jeu pas toujours très léger, mais très direct, expressif.
Dans Le Gouffre aux chimères de Billy Wilder, Douglas incarne un journaliste cynique et sans scrupules. Un rôle où il semble prendre comme jamais du plaisir à jouer une fois de plus une canaille.
Rôle important dans un des plus beaux films d’Howard Hawks (La Captive aux yeux clairs, The Big Sky en V.O.), un western géopoétique où Douglas se montre aussi fort que fragile. Amoureux d’une Amérindienne, il doit reconnaître sa défaite : elle lui préfère son meilleur ami. Douglas a le regard qui brûle, d’amour, de désir, son front se plisse, mais il finit par sourire.
Le grand Vincente Minnelli va tenir une place très importante dans sa carrière. D’abord avec Les Ensorcelés en 1953, satire sans concession d’Hollywood. Kirk Douglas y interprète Jonathan Shields, un producteur brillant mais impitoyable, prêt à casser la carrière de ceux qui lui résistent. A la limite de la folie, Shields pique des colères terribles dans lesquelles Douglas fait une fois très peur.
En 1956, Kirk Douglas joue le rôle-titre de La Vie passionnée de Vincent Van Gogh (Lust for life), l’un des chefs-d’œuvre de Vincente Minnelli, l’histoire des dernières années de la vie du peintre avant son suicide. L’acteur a souvent raconté qu’il s’était tellement investi dans ce rôle qu’il avait cru y perdre sa propre raison (vérifiant par exemple que son oreille était toujours là…). Une interprétation tout en excès mais magnifique, pour qui aime Minnelli et ses mélodrames. Une œuvre forte.
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Douglas fait la connaissance d’un jeune cinéaste, Stanley Kubrick. Les Sentiers de la gloire va faire scandale : le film raconte la rébellion de soldats français dans les tranchées de 1916, la stupidité et la cruauté d’officiers arrogants. Douglas joue, avec une sobriété assez rare chez lui, le rôle d’un officier, le colonel Dax, défenseur des soldats incriminés devant le tribunal militaire. Le film fut interdit en France jusqu’en 1975.
Puis vient Spartacus, que produit Kirk Douglas, et dont le tournage est devenu une véritable légende du cinéma. Douglas producteur se montre mégalo et violent : il vire Anthony Mann, qui devait réaliser le film, le remplace par Kubrick (avec lequel les rapports vont se tendre aussi), il remonte le film dans le dos du cinéaste, Charles Laughton et Peter Ustinov se détestent, etc. Bref, un tournage catastrophique qui aboutit pourtant à une réussite cinématographique. Douglas, dans le rôle du mythique gladiateur ayant levé une armée contre l’Empire, semble raide, de titane, capable de résister à tout, si ce n’est à la mort qui l’attend parce que le pouvoir est plus fort, plus organisé que les esclaves (le scénario est de Dalton Trumbo, l’une des victimes de la chasse aux sorcières anticommuniste).
Changement de registre avec Liaisons secrètes de Richard Quine (1960), avec cette « comédie dramatique » et sentimentale (une histoire d’adultère dans la banlieue américaine) où Douglas, aux côtés de Kim Novak, révèle tout son talent d’acteur sensible, fin et émouvant.
Curieux film que ce Seuls sont les indomptés (1962) de David Miller (et sans doute Douglas, non crédité), l’histoire d’un vacher qui ne parvient pas à s’adapter au monde moderne – l’action se déroule dans les années 1960. L’histoire d’un rebelle, la contre-culture n’est pas loin. Douglas, paraît-il, avait adoré jouer ce rôle singulier.
Retour à l’excès avec L’Arrangement d’Elia Kazan (1969), un film malaisant – mais hénaurme – qui dénonce les illusions de l’American way of life. L’histoire d’un homme qui a tout pour être heureux et qui pète complètement les plombs : l’argent ne fait pas le bonheur si la vie n’a plus de sens. Un film désespéré où Kirk Douglas met le paquet. Impressionnant.
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Le Nouvel Hollywood, Kirk Douglas y a aussi mis le pied. Puisqu’il joue dans Furie de Brian De Palma (1978), l’histoire folle (on est dans le paranormal) d’un homme (Douglas) qui découvre que des services secrets ( John Cassavetes joue un agent de la CIA) ont organisé une fausse attaque terroriste pour enlever son fils qui possède des pouvoirs extrasensoriels. Douglas a alors 62 ans, il en paraît dix de moins. Quand il pense à son fils, qu’il veut sauver, la colère est en lui, il serre la mâchoire, ses yeux brûlent.
Douglas commence à avoir des problèmes de santé (crise cardiaque, AVC), il se retire du cinéma, se tourne vers la religion (refait sa bar-mitsva), se consacre à des associations qui luttent contre la pauvreté. Il continue à écrire des livres, ouvre même un compte Twitter. En 2004, l’un de ses quatre fils meurt d’une overdose. Hostile à Trump, il va jusqu’à le comparer à Hitler à la veille de son élection. Vivant et sur le qui-vive jusqu’au bout. Avec cette flamme inquiétante toujours dans le regard.
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