Un été torride dans la capitale portugaise. Un adolescent fier et buté. Une chronique à la fois âpre et suave.
Un garçon et une fille s’embrassent goulûment, cadrés en gros plan, dans la nuit. On ne voit pas leurs corps, on ne peut qu’imaginer ce qui se passe au niveau de leurs mains, de leurs ceintures et plus bas, on n’entend que les bruits de baisers et de succions… Cette séquence où l’on ne “voit rien” (ou presque) mais où l’on entend et imagine tout, est d’un érotisme brûlant.
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“Ouïr c’est jouir”, disait en substance le Divin Marquis, ce que prouve cette scène qui témoigne de tout le talent de João Salaviza et de la beauté non ramenarde mais puissante de son premier film. Premier long métrage, doit-on préciser, car le bonhomme a déjà glané une Palme d’or et un Ours d’or, rien que ça, pour ses courts métrages. Décidément, Manoel de Oliveira peut reposer en paix, sa descendance en talents singuliers n’en finit pas de proliférer et de placer le petit Portugal tout en haut de la cinéplanisphère qui nous importe.
Beauté fragile et fière
Montanha, c’est un été torride à Lisbonne. Dans une des nombreuses HLM de sa banlieue vit David, 14 ans, avec sa mère et sa petite sœur. De temps en temps débarque l’amant de sa mère, avec lequel il s’entend très moyennement. Son grand-père est en train de mourir à l’hôpital et la mère de David va lui rendre visite quotidiennement.
David arbore la beauté fragile, fière et butée de son âge, il se retrouve un peu seul, désœuvré, délaissé par sa mère et par la force des choses, en latence entre deux années scolaires, entre la vie et le trépas de son papy. Heureusement, il y a son pote d’immeuble, le petit délinquant Rafael, et leur voisine Paulinha, pour laquelle ils en pincent un peu tous les deux.
Salaviza filme un Lisbonne que les touristes ne connaissent pas
La jeunesse qui s’ennuie l’été en ville : le sujet semble banal, mais la mise en scène de Salaviza lui redonne toute sa singularité, son acuité, sa fraîcheur. Le cinéaste filme un Lisbonne que les touristes ne connaissent pas, entre terrasses secrètes, escaliers de barres d’immeubles, piscines désaffectées, chantiers, no man’s lands, tout un réseau de friches et d’interstices urbains secrètement nichés comme dans toutes les métropoles et dont seuls les gamins des rues connaissent la cartographie et l’usage détourné.
Salaviza filme aussi la nuit urbaine scandée par les grillons, sa moiteur, sa torpeur somnambule, son épaisseur engourdissante presque palpable, ses lumières qui scintillent au lointain. Il filme enfin et surtout les corps, les peaux, les visages de ses acteurs et personnages en tenue estivale, torses nus, jambes découvertes, échancrures et décolletés plongeants, étoffes légères et lumières ombrées laissant deviner les courbes les plus intimes.
Echos de Pasolini
Montanha évoque des échos lointains de Pasolini et de Pedro Costa, des souvenirs de la nouvelle vague chinoise, des images mentales de Goodbye South, Goodbye (Hou Hsiao-hsien) ou de Plaisirs inconnus (Jia Zhangke), tout un cinéma laconique et sensuel de la jeunesse érotisée des quartiers populaires, de l’ennui urbain, de la mélancolie estivale, de la fatigue de vivre, de la douleur de quitter l’enfance et d’aborder l’âge adulte sans boussole.
Comme ces films cités, Montanha ne vrombit pas d’une dramaturgie trépidante mais procède par ellipses, silences, trous du récit et suggestions, par imprégnation progressive, infusion lente, immersion irrésistible, telle une plante grimpante, un virus de plus en plus contagieux, un élixir puissant et concentré. Au bout d’un moment, on est contaminé, conquis, sous l’emprise de ces songes de nuits d’été, de leur rythme torpide, de leur beauté vénéneuse.
David suit le trajet difficile de la sortie de l’enfance mais plus il perd, plus le spectateur gagne, s’attache à ce gamin, à son environnement et au regard que Salaviza porte sur lui. Car si le scénario est contre David, le cinéaste est toujours magnifiquement avec lui. Montanha nous rappelle que le cinéma peut aussi faire le même effet qu’une délicieuse maladie, qu’un film peut susciter une addiction aussi âpre que suave.
Montanha – Un adolescent à Lisbonne de João Salaviza (Por., Fr., 2015, 1 h 31)
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