Très attendu, considéré comme « scandaleux » avant même d’avoir été vu, « Moloch » ne satisfera ni les fans de Sokourov, grand plasticien de l’âme slave, ni les donneurs de leçons qui avaient cru flairer la bonne polémique.
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Moloch est un film qui ne cesse de décevoir, qui s’épuise à mesure qu’il se confronte au sujet qu’il revendique : l’effrayant mystère de la relation Hitler/Eva Braun, durant quelques heures du printemps 1942, dans une vaste demeure de montagne (Berchtesgaden ?), sous les yeux de quelques dignitaires du Reich accompagnés de leurs femmes. Le début est pourtant magnifique, l’annonce d’un chef-d’oeuvre. Une femme blonde et à moitié nue, couverte d’un simple collant de gymnaste, fait ses exercices de pièce en pièce, d’escalier en chemin de ronde. On entend du Wagner. La maison fortifiée semble avoir été désertée par ses habitants. Les montagnes embrumées paraissent sortir d’un chromo romantique malaxé par le nazisme. La femme jouit de sa solitude, se donne en spectacle à des gardes invisibles mais attentifs, se prélasse en tripotant des parures nazies. Le mystère est là, la beauté aussi. Fidèle à sa réputation d’esthète casse-cou, Sokourov compose de beaux tableaux voilés d’une vapeur bistre. Une femme dans un décor vide, quelques vestiges empoussiérés, le silence rompu par quelques murmures lointains, l’abomination qui couve.
Mais le film se gâte très vite, dès que les dialogues commencent, dès que le doute sur les identités de cette Eva et de cet « Adi » n’est plus permis. Hitler et sa suite arrivent, passent les domestiques en revue et se prêtent à un rituel immuable et grotesque. Survient alors le théâtre. Pour s’approcher d’un nazisme familier et quotidien, Sokourov s’est souvenu du Pasolini de Salo et a opté pour une stylisation théâtrale et surjouée. Mais là où Pasolini ordonnait un dispositif complexe et effrayant pour piéger le spectateur dans sa propre attraction-répulsion, Sokourov se contente des signes extérieurs d’une maladie mortelle. Il ne songe qu’à exposer une pathologie qui a contaminé le monde.
Maître d’un zoo humain craintif et empesé, Hitler délire, hurle, se roule par terre et ne parvient même pas à satisfaire sa maîtresse. Le tyran s’avère faible et souffreteux, un vieillard d’autant plus dangereux qu’il est débile. Cette extrapolation des profondeurs tarées du Mal absolu tourne vite au concours de grimaces et le film expose lourdement sa thèse des marionnettes mécanisées. Que les acteurs proviennent tous des meilleures scènes russes et soient doublés en allemand par la fine fleur du théâtre berlinois renforce encore l’aspect forcé et trop systématique de l’entreprise. Montrer Hitler en train de baver en caleçon dans de longs plans soigneusement composés, c’est un peu court.
Et Moloch de s’enferrer dans un discours si simpliste et attendu qu’il décourage toute idée de contestation. Sokourov est sans doute un grand peintre, mais c’est un mauvais dramaturge, plus proche de Mel Brooks que de Brecht. Il a fourni à Cannes sa première déception d’importance.
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