Pour France 5, Guillaume Ribot et Antoine Germa signent un documentaire essentiel sur une histoire encore méconnue de l’Europe du XXe siècle.
Comment, au cinéma, dire la vérité historique lorsque celle-ci a été effacée avec une diabolique efficacité par un pouvoir génocidaire et totalitaire ? De Claude Lanzmann à Rithy Panh, les meilleurs cinéastes ont toujours su pallier le manque, voire l’absence d’archives par un recours à l’imagination et à la poésie, sans rien renier à la rigueur.
Le réalisateur Guillaume Ribot et son coscénariste Antoine Germa sont de cette trempe-là, et ils viennent avec Moissons sanglantes de remporter le grand prix du FIPADOC de Biarritz. Déjà à l’origine d’un admirable Vie et destin du livre noir en 2020 – où ils retraçaient les parcours de trois artistes soviétiques (Solomon Mikhoels, Ilya Ehrenbourg, Vassili Grossman) avalés par le trou noir qu’a constitué la “Shoah par balles” menée par les nazis en Ukraine –, la paire retourne en quelque sorte sur les lieux du crime mais fait ici un bond en arrière pour se placer en 1933.
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L’histoire de l’Holodomor
Moissons sanglantes nous plonge dans l’Holodomor, la grande famine ukrainienne déclenchée intentionnellement par Staline pour punir un peuple réfractaire à la collectivisation forcée, et dont on n’a longtemps rien su — ou rien voulu savoir. Éclipsé à l’époque, escamoté ensuite, jusqu’à l’ouverture des archives soviétiques dans les années 1990, ce crime de masse a fait entre 3,5 et 5 millions de morts mais reste aujourd’hui méconnu, bien que la récente invasion de l’Ukraine par la Russie en ait, hélas, ravivé la mémoire.
Pour contrevenir à cette malédiction, Moissons sanglantes part d’un point de vue journalistique et occidental, celui du Gallois Gareth Jones, le seul étant parvenu en 1933 à percer le voile de mensonges tendu par le maître du Kremlin et ses alliés (notamment le journaliste du New York Times Walter Duranty, Pulitzer en 1932 et couvreur en chef des crimes staliniens).
Jones, dont le destin a déjà été popularisé en 2019 par une fiction historique d’Agnieszka Holland, L’Ombre de Staline, est parvenu à enquêter sur le terrain, au vu et au su des services de renseignement tel Tintin au pays des Soviets, et en a ramené plusieurs articles (décrédibilisés à l’époque par Duranty) témoignant de l’horreur, mais surtout des petits carnets qui servent ici à Ribot et Germa de fil narratif. Autour de cette ossature déjà remarquable d’ascèse journalistique, le réalisateur et sa monteuse Svetlana Vaynblat agrègent les quelques photos, littéralement une poignée, qui existent de la tragédie.
Guérir l’absence d’images
Mais surtout, et c’est véritablement le tour de force esthétique, le même que pour Le livre noir mais poussé encore plus loin, ils racontent ce grand vide, cette intolérable absence d’images, par le foisonnement détourné des images de fiction d’époque. Et pas n’importe lesquelles : celles créées par les plus grands cinéastes soviétiques, Eisenstein, Dovjenko, Poudovkine, Vertov…
Par la grâce d’un montage d’une diabolique intelligence qui ne prend jamais le spectateur en défaut, ces films sont ainsi arrachés à leur fonction propagandiste – cette propagande que nul ne pouvait alors éviter – pour être ramenés à une forme de signifiant brut, à une vérité immanente que seul le cinéma peut toucher. Tu n’as rien à Kharkiv. J’ai tout vu. Tout.
Première diffusion sur France 5 dimanche 19 février à 22 h 55 (puis en replay).
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