Trois ans après Frances Ha, Greta Gerwig revient dans le cinéma de Baumbach. Comme une tornade.
Mistress America est le pendant féminin du précédent film de Noah Baumbach, While We’re Young. Ou comment deux personnages, l’un plus âgé que l’autre, s’attirent, se vampirisent et se déchirent sur fond de création artistique.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
A Ben Stiller et Adam Driver succèdent donc Greta Gerwig et Lola Kirke (sœur cadette de Jemima Kirke de Girls, avec qui elle partage la même voix voilée sexy), réunies car le papa de la première va épouser la maman de la seconde. Le film est vu à travers les yeux de Tracy (Kirke), étudiante aux grosses prétentions littéraires.
Par un montage vif de saynètes très drôles sur les difficultés de Tracy à s’intégrer sur le campus à cause du snobisme ambiant (on est à Barnard, prestigieuse fac d’arts où sont passées Patricia Highsmith, Marisha Pessl… et Greta Gerwig), Baumbach donne le ton.
Un effet de miroir entre les deux actrices confère sa drôlerie au film
On est dans la screwball comedy, où les femmes ont le verbe aussi (sinon plus) haut que les mecs, où les répliques fusent. Ou au rythme d’un live-tweet, temps modernes obligent et incarnés par Brooke (Gerwig), trentenaire freelance connectée qui rêve d’ouvrir un restaurant-salon-de-thé-de-beauté, en contraste avec une Tracy très XIXe siècle, provinciale (pardon, du New Jersey) partie pour la grande ville.
Le moteur de ce film très drôle est l’effet de miroir entre une Brooke survoltée et épuisante (la Mistress America du titre) et la vampire littéraire feutrée Tracy, pour qui sa future belle-sœur est forcément un sujet de roman.
Baumbach avait bien chargé le portrait du hipster new-yorkais dans While We’re Young. Grâce à Gerwig, voici la version définitive, en surrégime. Elle descend gauchement les marches à Times Square, comme une Gloria Swanson aux trop longues jambes quémandant un gros plan dans Boulevard du crépuscule.
L’énergie comique rebondit et les punchlines ricochent
Coécrit par l’actrice, le film lui donne toute latitude pour briller (meilleure réplique : “Je vais finir par faire un truc dépressif mais de jeune”). On savait Gerwig à l’aise en adorable chieuse : la surprise vient donc de Kirke, plus opaque qu’ingénue, dont l’auto-effacement et le mutisme passif-agressif la rendent en fait remarquable dans une pièce.
La dernière partie, huis clos chez l’ex de Brooke, permet de faire rebondir l’énergie comique entre quatre murs et sur d’autres personnages secondaires voire tertiaires, mais essentiels (la rivale de Brooke qui lui a piqué ses idées, une voisine très enceinte…). Les punchlines ricochent, éclatent comme des grenades à fragmentation ; la névrose se réverbère encore mieux tandis que Tracy et Brooke déballent leurs insécurités.
Mais loin du jeu de massacre, les deux sisters se révéleront plus ambiguës, plus touchantes dans leur manière de faire souffrir sans le vouloir ni même le concevoir : l’une dans la fiction, l’autre dans la vraie vie (voir la scène hilarante/embarrassante où Brooke tombe sur une ancienne souffre-douleur de lycée). Cette banalité du mal, très contemporaine, donne soudain à Gerwig/Mistress America des airs de superhéroïne SM. Frances Aïe.
Mistress America de Noah Baumbach (E.-U., 2015, 1 h 24)
{"type":"Banniere-Basse"}