Un imitateur de Michael Jackson rejoint une communauté de sosies recluse en Ecosse. Ponctué de séquences sublimes, le troisième film d’Harmony Korine se pare, à l’aune du confinement, d’une gravité nouvelle.
La pandémie actuelle affecte bien des aspects de nos vies, devenues cloîtrées, repliées sur nos écrans où nos yeux doivent s’occuper. Ils regardent, entre autres, des films. Le basculement que nous vivons en modifie le visionnage. Là où une scène de club ou de foule relevait hier de l’anodin, elle nous plonge aujourd’hui dans un état de nostalgie.
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Voir ou revoir aujourd’hui Mister Lonely, le troisième film d’Harmony Korine, constitue un bel exemple du sens nouveau que l’état du monde peut donner à une œuvre.
Nous sommes tous aujourd’hui des monsieur et madame Lonely, l’isolation étant devenue le maître mot des Etats à travers le monde. Le Lonely du film de Korine (joué par Diego Luna, dont le jeu murmuré fascine) se prend pour Michael Jackson. Il apparaît pour la première fois portant masque chirurgical et gants, comme le roi de la pop avait coutume de le faire, telle une figure prophétique, par peur des maladies.
Une réflexion sur l’identité et l’excentricité
Le voyant inadapté aux rues de Paris où il erre, une wannabe Marilyn l’invite dans un manoir des Highlands écossais où ne vivent que d’autres misfits sosies (Lincoln, James Dean, Madonna, un Charlie Chaplin joué par Denis Lavant) et un troupeau de moutons qui meurent les uns après les autres, atteints d’un mystérieux virus, ce qui vaut à Marilyn ce commentaire de circonstance : “C’est facile de tomber malade en ce moment.” Un groupe de scientifiques vêtus de combinaisons de protection intégrales sera même mandaté pour enquêter sur ce virus et commandera l’abattage du troupeau.
Cet ensemble d’indices donne à voir un monde organisé en deux espaces, celui du refuge, de la bulle hors du temps, de la quarantaine et celui d’un monde extérieur menaçant. Au moment où il réalise ce film, Harmony Korine s’est exilé à Paris. Il doit s’y sentir esseulé, sans attache et quelque part loin de lui-même. Rien d’étonnant à ce qu’il fasse ce film en forme d’absurde pop culture de poche, de medley poétique et insulaire des Hall of Fame de la culture US, doublé d’une réflexion sur l’identité et l’excentricité.
Inégal, moins chaotique que Gummo (1997) mais moins maîtrisé que Spring Breakers (2012), le film est troué d’une sous-intrigue dans laquelle un missionnaire (Werner Herzog, filmé une seconde fois par Korine après Julien Donkey-Boy, 1999) assiste au miracle de nonnes qui sautent d’un avion sans parachute et atterrissent indemnes. Leur chute, qui n’est rien d’autre qu’une autre bulle, une autre solitude, donne au film des séquences sublimes. Elles sont le cœur vibrant d’un film dont le personnage tente, comme nous, de se convaincre en vain qu’il n’est pas seul.
Mister Lonely d’Harmony Korine, avec Diego Luna, Samantha Morton, Denis Lavant (Fr., E.-U., G.-B., Ir., 2007, 1h51)
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