Premier film cannois à sortir en salles, le nouveau Brian De Palma est un échec cinglant. Ecrasé par l’ombre du 2001 de Kubrick, Mission to Mars est aussi laid, explicatif, naïf et ridicule qu’une série B des années 50.
Le brillant De Palma nous a habitués à une carrière en dents de scie, capable d’alterner les réussites un peu trop tapageuses (Les Incorruptibles, L’Impasse, Mission : impossible) et les films malades, aux audaces mal dosées, qui suscitèrent, à leur sortie, le sarcasme presque unanime de la critique pour ensuite être réhabilités par les clients de vidéoclubs et les universitaires (Scarface, Body double, L’Esprit de Caïn). C’est une légère préférence pour la seconde catégorie qui pouvait éventuellement pousser à l’indulgence pour son nouveau film : un space opera sur une équipe de la Nasa envoyée sur Mars où il se passe de drôles de choses.
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Malheureusement, Mission to Mars n’est ni un film de commande détourné ni un grand film malade, mais un film impossible : de la science-fiction aux ambitions adultes ruinée par une conclusion d’une bêtise choquante qui plagie Rencontres du troisième type et Abyss.
Prisonnier d’un scénario débile écrit par trois irresponsables, De Palma fait ce qu’il peut entre une introduction (faux plan- séquence à la Snake eyes autour d’une barbecue-partie : on a déjà peur) et une scène finale très problématiques.
Sur le papier, un film de De Palma, presque entièrement filmé en apesanteur, faisait évidemment rêver à un agrandissement géant de la belle scène de Mission : impossible où Tom Cruise était suspendu dans une pièce entièrement blanche et silencieuse, et qui était déjà un hommage à 2001, l’odyssée de l’espace. Pourtant, De Palma se révèle incapable de s’approprier un projet trop éloigné de son univers personnel. Il a beau essayer de transformer un des pilotes en veuf vaguement névrosé, vaguement voyeur, le rôle est sabordé par la piteuse interprétation de Gary Sinise qui nous inflige le même rictus énervant pendant deux heures.
De Palma se rattrape alors avec ce qu’il sait encore faire le mieux : une maigre poignée de morceaux de bravoure à la réussite croissante, jamais inféodés au règne des effets spéciaux, qui pourraient trouver leur place dans une compilation des morceaux choisis de la filmographie du cinéaste : une impressionnante tempête de sable meurtrière, une séance de danse en apesanteur et deux très belles scènes de pur cinéma, qui offrent un effet de sidération comme on en voit très rarement dans la production américaine récente. D’abord une fuite dans le vaisseau provoquée par une pluie de micrométéorites au cours de laquelle De Palma, aidé par son complice Ennio Morricone, en très grande forme, crée un suspens vertigineux digne de ses meilleurs jours. Ensuite et surtout la plus belle séquence du film, la mort d’un des naufragés de l’espace qui se sacrifie pour sauver les membres de l’équipage, parmi lesquels se trouve sa femme. Cette scène bouleversante porte la marque des obsessions sadiques du cinéaste. La femme qui dit à son mari « Je ne veux pas te voir mourir », et tente de le sauver, puis qui pousse un cri déchirant, perdue dans l’espace, en assistant impuissante à son suicide « en direct », rappelle le lyrisme morbide des scènes finales de Phantom of the paradise ou Blow out qui voyaient, elles aussi, la mort triompher de l’amour et des couples (certes moins officiels) séparés à jamais.
Le gros problème de Mission to Mars, c’est que cette scène, qui aurait dû être la dernière dans un film « normal » de De Palma, se situe environ aux deux tiers du métrage, et que le troisième tiers semble vraiment avoir été enregistré en pilotage automatique. Le fan basique de De Palma se perd alors en conjectures : le réalisateur de Pulsions s’est-il laissé aller à son penchant pour le cinéma d’entreprise ? Pour les technologies de pointe ? Pour le Futuroscope de Poitiers ? Toujours est-il qu’il s’est gravement planté. Ça devient 2020, l’idiotie de l’espace, on nage en pleine science-fiction des années 50.
Le film ressemble à Robinson Crusoé sur Mars ou Les Survivants de l’infini, petits classiques de la SF qui ont leur charme mais dont la candeur, le mélange de naïveté et de sérieux papal, recevables dans les années 50, affrontent aujourd’hui le ridicule.
Le second gros problème du film de De Palma, c’est la référence kubrickienne. L’ombre de 2001 plane très souvent sur ses décors, son scénario, ses rebondissements, alors que le projet se révèle en définitive en complète contradiction avec le film de Kubrick : décider in fine d’enlever au film tout son mystère en montrant (mal) et en expliquant tout, voilà qui vient rompre avec le cynisme actuel du cinéma américain, mais cela ressemble mal au méfiant De Palma qui filme ici pour argent comptant les rêves de gosses d’astronautes élevés avec Flash Gordon et Buck Rogers. Bigre. De Palma fut comparé, à ses débuts, à Bellini ou Donizetti. Celui qui autrefois racontait des histoires cruelles avec une caméra tourbillonnante en est réduit à isoler quelques beaux airs d’opéra perdus au milieu d’une soupe indigente.
Les temps sont durs pour les wonder boys des années 70. Scorsese patauge dans une thématique auteurisante qui l’écrase un peu plus à chaque nouveau film, Coppola et Cimino sont réduits au silence, De Palma tourne n’importe quoi. Le roi de l’exercice de style devrait faire plus attention aux sujets qu’on lui propose mais il a sans doute trop confiance en sa virtuosité.
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