La filmo ludique et hollywoodienne de Robert Zemeckis a toujours été préoccupée par le régime des images. Le cinéaste vise la performance technique, mais cherche aussi à créer d’étranges mondes au croisement de l’infantilisme et de la perversité : ce sont les acteurs mêlés aux cartoons de Qui veut la peau de Roger Rabbit ? […]
La filmo ludique et hollywoodienne de Robert Zemeckis a toujours été préoccupée par le régime des images. Le cinéaste vise la performance technique, mais cherche aussi à créer d’étranges mondes au croisement de l’infantilisme et de la perversité : ce sont les acteurs mêlés aux cartoons de Qui veut la peau de Roger Rabbit ? ou l’idiot du village global serrant la main à JFK (Forrest Gump). Dans son meilleur film, La mort vous va si bien, la prouesse de l’image de synthèse frappait moins que son usage féroce et régressif, tordant et triturant les corps de Meryl Streep et Goldie Hawn dans une attaque contre la dictature des apparences. Le diptyque de contes dark formé par Le Pôle Express et le récent La Légende de Beowulf est à ce titre fascinant. Ces films d’animation usent de la même technologie consistant à capturer, digitaliser des acteurs réels par ordinateur, à l’instar des cinématiques de jeux vidéo. Le Pôle Express était un conte de Noël à la fois mièvre et inquiétant, de par le rendu lisse, les personnages raides, sortes de Pinocchio sous Photoshop morbide. La Légende de Beowulf est un net progrès technique (textures de peau, expressions) et thématique, grâce au scénario suffisamment pervers de Neil Gaiman et Roger Avary : le film est ainsi barbare, sexué et ironique à souhait – tout ce que n’est pas Le Seigneur des anneaux. L’économie est bluffante (c’est la fin des décors coûteux), mais la facture esthétique soulève d’abord de passionnantes questions. On y approche l’hyperréalisme, la sensation d’un réel imité mais aussi anamorphosé. La Légende de Beowulf remet aussi en perspective la place de l’acteur au-delà du fait de déclamer dans le vide ou de jouer sur fond bleu. John Malkovich et Anthony Hopkins y font leur boulot de traître et de ronchon, ce genre de rôles rodés et attendus. Et ils sont clairement reconnaissables pour que le public s’écrie : “C’est lui !” Pour Ray Winstone (Beowulf), l’affaire est autre : le rondouillard pensionnaire des films anglais réalistes y est mué en héros wagnérien. Une sorte de remise au goût du jour de la tradition US d’employer des acteurs british théâtraux : enlever le gras, garder le jeu. L’étrangeté réside surtout dans l’apparition d’Angelina Jolie en monstre : elle confirme que sa plastique est toujours fantasmatique, qu’elle soit réelle ou animée, et propice aux délires de la mythologie (harpie, sirène). Zemeckis nous donne le frisson, ouvrant encore plus le champ des possibles. Où la notion de performance de l’acteur est sublimée, liftée et dévoyée, où les (acteurs) morts se rapprocheraient encore plus des vivants.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}