Une saga familiale nourrie par les souvenirs du cinéaste Lee Isaac Chung, qui propose une relecture à l’élégance rare du roman américain.
“Ce n’est pas ce que tu m’avais promis”, se lamente Monica Yi auprès de son époux Jacob (le magnétique Steven Yeun, vu dans Burning ou The Walking Dead) lorsqu’elle découvre, au tout début de Minari, le mobile home planté au milieu d’un champ, au fin fond de l’Arkansas, où elle et sa famille viennent de s’installer pour y accomplir leur rêve américain : un lopin de terre à cultiver, un travail alimentaire (séparer les poussins mâles des femelles dans une ferme avicole) en attendant la récolte, et beaucoup de patience.
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Le film, en revanche, est exactement conforme à sa promesse, à l’inverse de cette maison de fortune qui va lui servir de décor principal : un drame familial touchant, classique, cherchant à métisser les deux cultures, coréennes et américaines, dont est issu son auteur, Lee Isaac Chung. C’est un film qui n’avance pas masqué, un film dont on sait exactement d’où il vient et où il va, mais qui le fait à pas feutrés, avec une élégance rare et une grâce de chaque instant.
Le titre annonce ainsi la couleur, puisque “minari” est le nom d’une plante coréenne (une sorte de céleri servant à relever les plats), plante que cherche à faire pousser la grand-mère (jouée par la géniale Yuh-Jung Youn, lauréate d’un Oscar pour ce rôle) sur la rive de l’étang américain, non loin de la ferme familiale.
Entre Terrence Malick et Edward Yang
La métaphore est on ne peut plus claire, presque trop : il s’agit pour les Yi de prendre racine, de la même façon qu’il s’agit pour Lee Isaac Chung d’affirmer sa double identité, d’en confronter les modalités, d’en hybrider les esthétiques, pour voir ce qu’il en sort. Révélé en 2007 par Munyurangabo, un premier long métrage tourné au Rwanda, dévoilé à Cannes (Un certain regard) et sorti en France dans la foulée, Chung a ensuite disparu des radars avec deux films confidentiels (Lucky Life en 2010 et Abigail Harm en 2012), peinant à monter ses projets, jusqu’à ce retour gagnant.
C’est en s’inspirant de sa propre biographie et en l’hybridant avec des éléments de roman américain (le cinéaste cite Willa Cather et Flannery O’Connor en interview) qu’il y est parvenu. Ou pour rester dans le cinéma, en mélangeant, toutes proportions gardées, Terrence Malick et Edward Yang.
Nulle volonté, toutefois, de singer ses modèles. Lee Isaac Chung trouve ici sa propre voix, nourrie d’expériences et de souvenirs personnels, mais aussi, c’est le plus important, d’un regard propre. Sa mise en scène est d’un classicisme impeccable, qu’il ne faudrait surtout pas confondre avec de l’académisme. En surface, le film contient tout ce que l’on attend d’un film indépendant américain, doublement adoubé à Sundance (jury et public, tout le monde était d’accord en 2020), ainsi que d’un film d’auteur asiatique (feu les Golden Globes l’ont d’ailleurs récompensé en tant que meilleur film étranger, ce qu’il n’est pas, bien que sa langue principale soit le coréen).
Grand-mère miyazakienne et émotions puissantes
Et il y a certes une indéniable facilité à aller chercher des rires dans la salle en faisant interagir une grand-mère miyazakienne et une paire de gamin·es joueur·euses – mais qui s’en plaindra ? Le film se détache en réalité du tout-venant par la justesse de son découpage et par la finesse de ses enjeux psychologiques. Chung excelle ainsi à raconter les lignes de tension et les petites fractures au sein d’une famille, dont l’équilibre est le véritable enjeu de son film.
Pas de grand drame déchirant le récit, pas d’antagoniste s’opposant farouchement au plan des Yi, mais plutôt une sédimentation délicate, un lent amoncellement de sensations, d’affects, de personnages secondaires (magnifique Will Patton en ouvrier agricole ravi de la crèche) qui chargent le film, sans en avoir l’air, d’une puissante émotion, prête à exploser dans les dernières scènes (l’engueulade entre les parents sur le parking, très forte). Promesse tenue.
Minari de Lee Isaac Chung, avec Steven Yeun, Ye-Ri Han, Alan S. Kim (E.-U., 2020, 1h55). En salle le 23 juin
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