La fin des années 1970, la perte de l’innocence : avec cette troisième réalisation autobiographique, cette fois consacrée à sa mère, Mike Mills continue d’ancrer son roman familial dans la grande Histoire.
Le réalisateur californien de 50 ans creuse indubitablement un sillon. Ses trois films (en dix ans) scrutent la classe moyenne banlieusarde dont il est issu et composent un portrait de l’auteur à travers celui de ses parents.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ce cinéma en forme d’arbre généalogique se caractérise aussi par un style visuel très identifiable, pointilliste, pastel. Un cinéma atmosphérique, ouaté, un peu gazeux, baigné de pop culture nostalgique, évoquant par endroits celui de Sofia Coppola (même s’il s’en défend). Comme elle, Mike Mills est d’abord passé par une école d’art avant de réaliser des clips et des visuels pour Moby, Yoko Ono, Air, Beastie Boys, Beck, Sonic Youth ou encore Blonde Redhead. Il signe aussi des publicités pour Marc Jacobs, Adidas, Nike, Apple, Facebook ou Volkswagen.
Ce n’est qu’à 39 ans qu’il sort son premier long métrage, Age difficile obscur, (Thumbsucker, “le suceur de pouce”, en VO), avec Keanu Reeves, Tilda Swinton et Vince Vaughn, un titre qui annonce une filmographie tournée vers les rapports familiaux. Qu’il explore cinq ans plus tard dans Beginners où son alter ego Ewan McGregor voit son père (Christopher Plummer) faire son coming-out juste après la mort de sa femme. Une histoire que Mike Mills n’a pas inventée puisqu’il s’agit de la sienne : “Mes films ont été jusqu’à présent basés sur ma vie. Je n’aime pas inventer, j’ai envie de communiquer sur des choses que j’ai vues et vécues. Mes parents étaient tous deux des personnes assez complexes et très liées à l’époque à laquelle ils ont vécu. Ces deux versants, l’intimité familiale et l’environnement historique, sont les deux aspects que je tente dans chaque film d’expliquer au public. Je pense que le centre de mon cinéma se trouve dans ce lien entre les deux “h” de l’histoire, le petit, l’histoire intime de chaque personne qui explique comment chacun en est arrivé là où il est, et le grand, notre Histoire commune.”
Elle Fanning, Greta Gerwig, Annette Bening, Billy Crudup…
Après celui sur son père, il se lance donc sur un film sur sa mère, morte il y a dix-sept ans d’un cancer. 20th Century Women et son joli casting (Elle Fanning, Greta Gerwig, Annette Bening et Billy Crudup) se concentre sur l’adolescence du réalisateur à travers le portrait de trois générations de femmes, à une époque d’avancée majeure pour la condition féminine : “Le droit à l’avortement en 1973 et la pilule, popularisée dans le milieu des années 1970, c’était une grande révolution. D’une certaine manière, chaque femme de mon film s’empare de cette nouvelle liberté tout en en pointant les limites et la complexité. Par exemple, le personnage de ma mère, son féminisme bien à elle, est loin des systèmes de pensée quelquefois un peu ostracisants qui circulaient à l’époque.”
L’une des plus belles idées du film est d’en faire le dépositaire de l’identité de cette mère, une tentative de portrait post mortem à destination du fils du réalisateur. Mémoires de l’intime ou album photo familial que le réalisateur tisse avec le fil d’une époque, une époque charnière où un basculement et une perte d’innocence s’opèrent dans le mode de vie américain : “En 1979, c’est la fin de la social-démocratie, d’une certaine idée de la classe moyenne américaine. Les années 1980 sont marquées par la digitalisation des ménages, tout est devenu petit à petit très abstrait. J’ai l’impression que chaque image des Etats-Unis à cette période est quelque part le symbole d’un capitalisme qui est en train de s’autodétruire.”
« L’Amérique est au bord de devenir fasciste, misogyne et raciste »
20th Century Women est également le film d’une génération que ne connaîtra pas non plus le fils du réalisateur : “Grandir dans les seventies ou à notre époque est radicalement différent, du fait de l’arrivée d’internet. Aujourd’hui, je peux regarder ce qu’il se passe dans le monde entier, je suis en permanence connecté au monde et d’une manière assez addictive. Avant, il fallait se déplacer physiquement, en voiture le plus souvent. C’est pour cela que j’ai réservé un traitement très spécial aux déplacements en voiture dans mon film. A l’époque, posséder une voiture avait quelque chose de magique. Il fallait en avoir une pour aller à Los Angeles et écouter de la musique punk pour la première fois. C’était un monde plus physique.”
Si le réalisateur s’est jusque-là tourné vers son passé pour créer ses films, il pourrait en être autrement dans sa prochaine réalisation : “Avec Trump, j’ai le sentiment qu’il faut être plus politique car je pense que l’Amérique est au bord de devenir un Etat fasciste, misogyne et raciste. C’est un espace mental très dangereux en ce moment. J’ai envie de faire un film sur l’Amérique de Trump, sur ce qui se passe maintenant”.
« 20th Century Women » de Mike Mills
{"type":"Banniere-Basse"}