Toujours à la frontière entre la fiction et le documentaire, l’imaginaire et le réel, le studio et les extérieurs, le réalisateur de “Tabou” est pour la première fois en Compétition à Cannes, avec un très beau film romanesque, “Grand Tour”, inspirée par une anecdote racontée dans un livre de W. Somerset Maugham.
Toujours à la frontière entre la fiction et le documentaire, l’imaginaire et le réel, le studio et les extérieurs, le réalisateur de Tabou est pour la première fois en Compétition à Cannes, avec un très beau film romanesque, Grand tour, inspiré par une anecdote racontée dans un livre de W. Somerset Maugham.
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Comment le film a-t-il été construit ?
Miguel Gomes – J’ai découvert une productrice géniale, Filipa Reis, à qui j’ai expliqué que j’aimerais faire un grand voyage en Extrême-Orient avec mes scénaristes avant d’écrire le film. Un producteur conventionnel ou moins fou aurait refusé, pas elle. Je voulais aussi filmer des sortes d’archives pendant ce voyage, qui nous ont ensuite servies d’inspiration pour l’écriture du scénario. Cette idée organique de réagir au monde, de faire partager les choses qu’on a vécues, donne des idées de scénarios différents, moins littéraires. En 2020, nous sommes partis cinq semaines pendant lesquelles nous avons filmé les gens, les rues, les paysages (au cinéma, les paysages sont le reflet des états d’âme des personnages), le tout en 16mm. Des images que nous avons déjà un peu montées. Et là, nous avons commencé à écrire. Comme le Covid-19 nous avait surpris au Japon et obligé·es à revenir, nous avons dû, deux ans plus tard, tourner à distance (moi devant des moniteurs à Lisbonne avec des technicien·nes en Chine, en direct) les images qui nous manquaient. Puis nous avons réalisé les scènes en studio à Rome et Lisbonne. Mais l’idée était toujours de mélanger des images très différentes, hétérogènes, certaines en couleurs, certaines en noir et blanc, certaines documentaires (sans cacher qu’elles ont été tournées en 2020, donc pas en 1918), certaines de fiction, tout en créant malgré tout une continuité entre elles.
Pourquoi le choix de raconter l’histoire en deux parties, dans un champ-contrechamp “total” : d’abord l’histoire vue par Edward pendant la première moitié, puis celle de Molly dans la seconde ?
Ce qui m’intéressait, c’était aussi de mélanger les tons, les genres. La première partie ressemble plutôt à une comédie de remariage à l’américaine, une screwball comedy avec un personnage qui fuit sa fiancée, et la seconde est plus tragique. Je crois que cet équilibre entre la légèreté et la gravité, c’est le propre du cinéma.
La vie est-elle plus tragique pour les femmes que pour les hommes ?
Je n’en tirerais pas une généralité, mais dans le film, oui. C’est important. Le personnage féminin a plus de poids, elle est plus grave, elle change plus que l’homme, elle passe par tous les états, de l’extravagance à une profonde gravité à la fin. Et je crois que cet équilibre entre la légèreté et la gravité, c’est ce qui fait le cinéma. Je pense que mon film est un film sur la foi, sur les convictions des gens, des personnages, mais aussi sur la croyance que le cinéma peut faire des choses, sur la croyance dans la fiction, dans le spectacle du monde. Réussir à établir un lien entre le cinéma de fiction (le studio) et le monde tel qu’il est. Ce que j’aime, c’est lier des choses qui sont physiquement séparées, pour permettre au spectateur de fantasmer dessus. C’est ce que je voulais travailler dans ce film. Parfois le cinéma fait trop d’efforts pour nous convaincre que quelque chose est en train de se dérouler devant nos yeux, alors que nous savons que non, que c’est “du cinéma”, de la fiction, nous ne sommes pas débiles, nous le savons. Parce que nous acceptons le pacte avec la fiction.
Grand Tour de Miguel Gomes, avec Gonçalo Waddington et Crista Alfaiate (Portugal, Italie, France). En Compétition officielle.
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