Plongée dans l’Amérique des sectes et de l’occultisme. Un thriller ramassé et haletant d’où émerge une figure bouleversante d’enfant messianique terrorisé par ses pouvoirs.
Certains ont pu croire, dès les premières annonces par Jeff Nichols d’un projet de science-fiction, que le réalisateur de Mud allait changer de planète : changer d’audience, changer de système de production mais aussi changer d’ambition en se frottant pour de bon à une mécanique de grand spectacle qui le trouverait forcément quelque peu transformé. C’était compter sans la façon majestueuse qu’a le très longtemps attendu Midnight Special de perpétuer l’ancrage populaire de Nichols.
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Entre les coutures de l’intrigue fantastique, à l’ombre des déflagrations lumineuses qui explosent dans les yeux du jeune héros, le film reste tapissé de ces communautés sudistes désolées, soudées par la foi, pétries d’instinct clanique et burinées par la poussière, dont le cinéaste ne se séparera vraisemblablement jamais tant elles constituent toujours l’alpha et l’oméga de ses intrigues et la clé de ses obsessions. Aussi loin qu’il pousse ses évasions cosmiques, le cinéma de Nichols demeurera irrigué par la tourbe du Mississippi.
Les pleins pouvoirs à la fiction
La foi : il n’a jamais été question que de ça. Autant que les fratries de Shotgun Stories croyaient jusqu’au sang à leur rivalité, comme les héros d’une tragédie grecque, autant que le Curtis de Take Shelter croyait envers et contre tout à l’imminence de l’apocalypse, ici les membres d’un culte vénèrent un enfant dont les pouvoirs ont fait de lui un prophète, à l’existence tenue secrète.
Alton crache par les yeux une lumière bleue qui révèle à qui la regarde une vérité incommensurable – il est aussi doué d’une quasi-omniscience. Son père (Michael Shannon), sa mère (Kirsten Dunst) et un ami (Joel Edgerton) prennent la fuite avec lui pour une mystérieuse destination, pourchassés par l’armée et par une NSA dont l’agent Sevier (Adam Driver, toujours excellent) fait office de Ponce Pilate.
Or pour la première fois chez Jeff Nichols, les personnages n’ont plus la liberté de ne pas croire. En plongeant pour de bon dans la SF, le cinéaste a offert à la fiction les pleins pouvoirs. Donnée pour argent comptant, la déité de ce garçon connecté à la vérité d’un autre monde n’est plus déséquilibrée par un contrepoint de scepticisme, une indécision de la foi.
C’est ce qui fait de Midnight Special un film vraiment déstabilisant : comme si le réalisateur de Take Shelter décidait de littéraliser son écriture du fanatisme au point de ne plus permettre au film d’effleurer l’éveil, la lucidité. Nous sommes avec ceux qui croient, et il faut croire avec eux, ou ne plus croire à la science-fiction, mais qui a envie de ça ? Nichols est joueur, car malgré ce franchissement symbolique il continue de semer ici et là des signes qui viennent compliquer l’équation.
Une expérience de la foi
Le film s’enracine dans l’Amérique des sectes, des cultes millénaristes aux adeptes prêts à mourir et à tuer pour ce qu’ils croient. Pas le temps, pourtant, d’agiter à leur égard la sonnette du charlatanisme : immédiatement en mouvement, Midnight Special est pris dans la cinétique d’un pur chase movie aux relents 80’s (sublime scène où la Chevrolet fuse phares éteints dans la nuit texane, sous la main experte d’un pilote coiffé de lunettes infrarouges), où la vacillation du vrai et du faux reste en hibernation jusqu’à un épilogue qui la voit soudain éclater façon Rencontres du troisième type.
C’est au fond à ça que sert l’odeur insidieusement fanatisée et mystique de Midnight Special : remettre au cœur de la fiction la question de la croyance, en nous transmettant l’expérience d’une foi vis-à-vis de laquelle Take Shelter avait conservé une distance prudente, un nuage d’ambiguïté. Ainsi nous est-il offert de partager la ferveur ingénue de ces personnages auxquels le film révèle les visions naïves d’un monde “au-delà du réel”.
Exemple simple et ravageur : Kirsten Dunst, interdite, contemple un contrechamp dont on taira ici la nature. Et, tandis qu’il se dissipe, son évanouissement portant encore sa trace invisible, Jeff Nichols retourne la caméra et fait d’un champ de blé vide le plus beau plan de ce début d’année.
Midnight Special de Jeff Nichols (E.-U., 2016, 1 h 51)
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