Son film Chronic est sorti le 21 octobre en France : retour sur la filmographie du jeune Mexicain Michel Franco, qui paraît promis à un brillant avenir mais dont la crudité et le pessimisme soulèvent la polémique.
En trois films (Daniel et Ana, Despues de Lucia, Chronic qui est sorti le 21 octobre en France), il a soulevé le rejet, voire la haine d’une part de la critique. Pourquoi ? On reproche à Michel Franco, auteur de Chronic, récompensé par le prix du Scénario lors du dernier Festival de Cannes, d’être « fasciste », « racoleur », un « cinéaste de festival », d’ailleurs essentiellement cannois (Daniel et Ana à la Quinzaine, Despues de Lucia à Un certain regard, et Chronic en compète), de faire dans la provocation, de réaliser des films où « il ne se passe rien ». Un journaliste français a aussi écrit que Chronic était le film « le plus déprimant du festival ».
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Pourquoi tant de haine ? Certes, les sujets qu’il aborde ne sont guère plaisants : l’inceste forcé entre frère et sœur dans Daniel et Ana, le harcèlement numérique dans Despues de Lucia, la vie d’un infirmier de soins palliatifs dans Chronic. Mais les critiques ne sont pas spécialement des bonnes sœurs. Ce qu’on lui reproche, c’est surtout le traitement qu’il administre à ces sujets (très réaliste) et une certaine complaisance dans ce choix.
Dans Chronic, on voit du sang, des excréments, etc. Les réalités quotidiennes de la maladie. Et puis d’autres n’aiment pas les fins de ses films : la loi du talion dans Despues de Lucia, un deux ex machina dans Chronic, que certains ont pris pour le jugement de Dieu mais dans lequel on pourrait aussi voir une métaphore ironique de la vie de son héros, l’homme qui accompagne les autres jusqu’à la mort et qui meurt seul.
Alors qui est ce jeune Mexicain (il est né en 1979) qui monte qui monte (il est aussi l’un des producteurs du dernier Lion d’or à Venise, Desde allà du réalisateur vénézuélien Lorenzo Vigas), mais demeure toujours sujet à polémique ?
Découvert par Tim Roth
Il est de Mexico, qui est “sa” ville. S’il a tourné Chronic aux Etats-Unis, c’est uniquement pour des questions de production et de langue. Car ce film est né d’une rencontre, avec l’acteur Tim Roth, qui présidait le jury d’Un certain regard, qui a récompensé Franco de son prix en 2012. Roth, enthousiaste, a tout de suite proposé au jeune homme de travailler avec lui. Franco, qui avait déjà le projet de ce film, l’a modifié pour l’adapter à l’acteur (au départ, le personnage était une femme). Franco se rend bien compte de la chance qu’il a eue : que ses films soient tous sélectionnés à Cannes, qu’ils lui aient permis de rencontrer celui qui est devenu un ami, une sorte de grand frère.
« Ce qui a été formidable, dans cette collaboration avec Tim Roth, c’est qu’il a tout de suite compris ce que je voulais faire dans Chronic, et je dirais même plus, qu’il comprenait même mieux que moi…, explique Franco avec admiration et gratitude. Sur le tournage, non seulement il accomplissait ce que je lui avais demandé de faire, mais en plus il allait plus loin, il améliorait les choses. »
Pourquoi tourner ces sujets ?
« C’est la vie qui m’amène vers ces sujets. La mort est un sujet qui m’intéressait. Mais c’est la mort de ma grand-mère, et surtout la rencontre avec l’infirmière qui s’était occupée d’elle jusqu’au bout qui m’a guidé vers la mort. Comment penser la mort ? Voilà ce qui m’intéressait, dans ce projet. »
Très vite, on comprend que Michel Franco pense à travers le cinéma, et presque uniquement avec lui.
« Je pense que le cinéma nous aide à chercher (car on ne les trouve jamais) des réponses aux questions que l’on se pose : comment vivre ensemble, comment nous comporter les uns par rapport aux autres ? Ce sont les questions sociales qui m’intéressent. Et elles doivent me tarabuster suffisamment pour que je puisse accepter de vivre avec elles pendant deux ou trois ans, le temps de faire le film. Il faut aussi que le spectateur, le temps de deux heures, trouve que ce que je montre est intéressant… Il faut donc que ce que je filme soit complexe, car la vérité n’est jamais simpliste. Mais jamais je ne me permettrais de donner des réponses et surtout de les imposer au spectateur ».
Surprendre le spectateur
Michel Franco a un talent spécifique pour raconter les histoires. Il sait très bien déjouer les attentes du spectateur, le surprendre, le décevoir et le satisfaire, jouer sur les codes, bref, maintenir son attention, attiser sa curiosité, l’exciter, le prendre dans les mailles de son filet narratif. « C’est important pour moi », dit-il, manifestement passionné par la question.
« Quand je structure mon récit, je tiens absolument à ce que le spectateur ne sache pas ce qui va arriver dans la scène qui commence. C’est presque un principe pour moi. Je déteste les films et les romans où on devine ce qui va arriver et où ce qui devait arriver advient. Où l’on vous prend par la main et où vous n’avez plus rien à faire. Où l’on comprend absolument tout. Mais je crois aussi qu’il ne faut pas mentir au spectateur, car il ne vous suit pas si vous le faites. Donc j’essaie de laisser suffisamment de place pour que le spectateur puisse suivre, mais sans jamais lui asséner des leçons, lui dire ce qu’il faut comprendre ou penser ou sentir. »
Même si Chronic est son premier film où le récit en lui-même est moins important que le portrait d’un personnage, on retrouve cette même technique. On découvre peu à peu qui est Tim Roth, « par couches successives », dira Michel Franco. « Dans la plupart des films, on sait qui est le personnage principal dans les dix premières minutes. Pas dans mes films. Parce que je n’aime pas ça. D’ailleurs, je crois que même à la fin du film, on ne sait pas tout sur lui-même si on en sait davantage. On ne saura jamais. J’ai bien conscience que c’est contraire à toutes les règles exposées dans les manuels de scénario. Mais voilà ».
Une famille sans aucune activité intellectuelle
D’où vient Michel Franco ? Rien ne le prédestinait à travailler dans le cinéma. A douze ans, il se passionne pour la musique. Il fait partie d’un groupe de rock. Mais à dix-sept, il s’aperçoit qu’il n’a aucun talent (c’est lui-même qui l’affirme). Que faire ? Il aime aussi le cinéma : Bunuel, Tarantino, notamment. Ses parents s’inquiètent : son père tient un commerce de vêtements, sa mère reste au foyer. Personne, dans la famille, n’a jamais « eu la moindre activité intellectuelle ou artistique », raconte-t-il.
« Mes parents étaient inquiets, pensaient que c’était une chose impossible. A moi, il m’est apparu que des films sortaient chaque semaine dans le monde, et que ça devait être bien de pouvoir parler aux gens de ce dont on a envie de parler pendant une heure et demie ou deux heures et d’en vivre (sourire). Mon père, toujours inquiet, très réaliste, me poussait à devenir réalisateur de publicités. J’ai donc commencé des études de communication. Mais je n’aimais pas ça. Je déprimais. Et puis un jour, un professeur de photographie m’a demandé de raconter une histoire à l’aide de sept photos. Mais je l’ai fait avec soixante… Mes photos étaient moches, alors que c’était ce qui l’intéressait, lui, et que je m’intéressais à l’histoire. Il m’a dit : « Très clairement, tu as envie de faire du cinéma. (rires) ‘Alors fais-le !‘ » raconte Franco.
« Alors j’ai suivi un atelier de cinéma pendant six semaines à New York, où j’ai appris à me servir d’une caméra. De retour au Mexique, j’ai commencé à réaliser des courts métrages, un tous les six mois, environ. J’ai commencé à les montrer dans des festivals, ils ont reçu des prix… Puis j’ai réalisé des publicités, comme prévu… Dernière étape de ma formation, les bonus de DVD, qui arrivaient alors sur le marché. Je regardais beaucoup de films – je continue aujourd’hui. La vérité, c’est que j’étais persuadé que de toute façon, aucune école de cinéma ne voudrait de moi. Je ne suis pas un intellectuel. Alors je n’ai jamais essayé d’y entrer. Tout a filé si vite ensuite. Jusqu’à mon premier long, qui fut sélectionné pour Cannes en 2009, Daniel et Anna. »
Revenir à des budgets raisonnables
Simple, la vie, non ? « Cannes a changé ma vie. En 2012, je tourne Despues de Lucia avec un appareil photo Cannon numérique pour un budget de 200 000 dollars. Je le termine en février, en mai je suis à Cannes, je remporte le prix et rencontre Tim Roth. Despues de Lucia fait un million d’entrées au Mexique. Voilà mon histoire. Le monde est fou. »
Chronic a coûté plus cher – mais Tim Roth a participé au financement. « Parce que c’est un film américain, que tout coûte plus cher aux Etats-Unis, notamment à cause des tarifs imposés par les guildes et les syndicats du cinéma;” Pour ses prochains films, Michel Franco souhaite revenir à des budgets plus raisonnables. En réalité, il ne veut pas changer son cinéma et sa manière d’en faire. « J’aime mon travail », dit-il fièrement. « Je n’aime pas écrire, je n’aime pas monter, je n’aime pas… Tout est pénible et compliqué. Mais quand je tourne une scène qui me paraît bonne, juste, j’y prends un plaisir énorme, presque comparable à un orgasme. Vous êtes obligé d’en baver pour atteindre cet instant, mais quelle intensité. Et à vrai dire, parler de Chronic avec les journalistes me procure aussi un grand plaisir. »
Vient la question de la critique, dont nous parlions au début de cet article. Comment perçoit-il l’agressivité de certains de ses détracteurs ?
« Je ne sais pas. Je m’aperçois que souvent les gens qui n’aiment pas mes films sont capables d’en parler très longuement. Ils ne les aiment pas mais mes films les font réfléchir, semble-t-il. Je préfère ça à des gens qui diraient que j’ai fait un joli film et qui l’auraient oublié le lendemain. »
Nul ne peut dire aujourd’hui si Michel Franco fera une grande carrière de cinéaste. Pas même lui. A nul moment, nous n’avons perçu pendant cet entretien la malice et même la malignité calculatrice dont certains l’accusent en France. Peut-être abandonnera-t-il un jour la réalisation pour se consacrer entièrement à son activité de producteur, et tout sera oublié de la haine qu’il a pu inspirer. Mais aujourd’hui, oui, le succès le rend un peu sûr de lui. Comment pourrait-il en être autrement ?
Mais nous avons aussi eu l’impression que sa passion pour la mise en scène n’avait rien de feinte ou de malsaine. Que la provocation n’est pas son terrain de jeu. Que rien dans ce qu’il peut dire n’a un quelconque rapport avec du « fascisme ». Nous pouvons évidemment nous tromper. Mais comment savoir ?
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