Entre Michel Foucault et le cinéma, il y eut une histoire en pointillé. Un livre réunit ces fragments épars.
Contrairement à Deleuze, à Rancière ou, tout récemment, à Alain Badiou, Michel Foucault n’a pas publié de livre sur le cinéma. Son parcours a pourtant croisé, de façon ponctuelle mais décisive, l’histoire du septième art, comme plusieurs textes et entretiens, disséminés au fil des Dits et écrits, en gardent la trace.
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D’une interview essentielle aux Cahiers du cinéma sur la « mode rétro » à un dialogue avec Hélène Cixous autour de Marguerite Duras en passant par une analyse très fine du film de Pasolini, Enquête sur la sexualité, la pensée de Foucault n’a, de fait, cessé de plonger dans les salles obscures.
Une approche globale de la relation du philosophe avec le cinéma
Dork Zabunyan et Patrice Maniglier ont eu la judicieuse idée de réunir, en un seul volume, certains de ces fragments. Et, même si l’on peut regretter de ne retrouver dans leur ouvrage qu’une sélection des textes et entretiens que le philosophe a consacrés au cinéma, leurs articles très éclairants d’introduction permettent d’avoir, pour la première fois, une approche globale des rapports de Foucault aux images en mouvement.
Cette vue d’ensemble balaie ainsi l’idée reçue selon laquelle l’histoire de Foucault et du cinéma se résumerait à un croisement unique : l’adaptation par René Allio, en 1976, du témoignage publié par l’auteur, trois ans auparavant, Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma soeur et mon frère… Ou, plus exactement, elle offre la possibilité de comprendre ce qui, dans la pensée de Foucault, a pu générer un tel croisement : entre l’attention du philosophe au « grain minuscule de l’histoire » (ce qu’il caractérisait lui-même de méthode » Blow up ») et le septième art, une rencontre se devait d’avoir lieu.
D’abord une sensibilité au 7ème art qu’une théorie systématique
On retrouve cette même passion minutieuse dans les pages précieuses que Foucault consacre aux films qu’il aime, et avant tout dans ses descriptions admirables de la » cinégénie » des acteurs. Qu’il s’agisse de Michael Lonsdale ( » il est épais et massif comme un brouillard sans forme ») ou des héroïnes des films de Schroeter ( » Dans La Mort de Maria Malibran, la manière dont les deux femmes s’embrassent, qu’est-ce que c’est ? Des dunes, une caravane dans le désert, une fleur vorace qui s’avance, des mandibules d’insecte, une anfractuosité au ras de l’herbe »).
Et c’est ici la surprise principale : si Foucault est allé au cinéma, c’est moins pour en retirer les bases d’un système théorique que pour exercer d’abord cette sensibilité particulière à la façon dont l’objectif invente un corps nouveau, « entièrement plastique », comme échappé à lui-même.
Patrice Blouin
Foucault va au cinéma de Dork Zabunyan et Patrice Maniglier (Bayard), 164 pages, 21€.
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