C’est l’autoportrait de Kontchalovski qui affleure au travers de cette reconstitution, superbe, de la vie du peintre florentin.
Discrètement, c’est un morceau de l’histoire du cinéma qui est réanimée avec la sortie du nouveau film d’Andreï Kontchalovski. Plus d’un demi-siècle après avoir coécrit, avec Tarkovski, le scénario d’Andreï Roublev (1966), le cinéaste russe, aujourd’hui octogénaire, retrace à nouveau la vie d’un peintre. Cinquante années en arrière, c’était aussi la dernière apparition de l’artiste florentin au cinéma, sous les traits de Charlton Heston, dans un biopic hollywoodien réalisé par Carol Reed intitulé L’Extase et l’Agonie (1965).
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Derrière la splendeur des images, l’économie narrative
Surplombé par cinquante ans d’histoire, Michel-Ange aurait pu céder à la tentation de s’inscrire dans la tradition du grand film de maître. Derrière la splendeur des images, c’est au contraire par son économie narrative que le film surprend. Débutant juste après les derniers coups de pinceaux du plafond de la chapelle Sixtine, le récit fait revivre un fragment de la vie de l’artiste où ce dernier est pris entre la précarité d’un quotidien – alors qu’il est reconnu comme un génie dans tout le pays – et d’un double jeu diplomatique auprès des deux grandes familles rivales de l’époque qui financent ses œuvres.
Comme Tarkovski avec Andreï Roublev, Kontchalovski fait de son protagoniste un double de fiction et lui projette son autoportrait de cinéaste. Difficile, en effet, de ne pas faire un lien entre le peintre italien pris entre la censure et la cupidité de ses mécènes et le regard rétrospectif de celui qui a réalisé des films en URSS sous Brejnev, puis tenté une rapide et douloureuse expérience auprès des grands studios hollywoodiens.
Même chez Michel-Ange, il n’y aura ni transe créative géniale, ni tourments désabusés
En ne choisissant comme motif ni le mystère de la création, ni la crise d’inspiration de son protagoniste, le film prend à rebours tout un modèle du “biopic d’artiste”. Délesté de toute emphase, le film désacralise la figure du créateur : même chez Michel-Ange, il n’y aura ni transe créative géniale, ni tourments désabusés, mais une existence répétitive et laborieuse sacrifiée au nom de l’art. A l’image de la scène d’extraction d’une carrière de cet immense bloc de marbre destiné à la construction d’un monument funéraire pour le pape. Sublime vision, qui évoque aussi bien le geste absurde de Sisyphe que l’impossibilité pour l’artiste de prélever la nature sans en altérer la pureté.
Michel-Ange d’Andreï Kontchalovski, avec Alberto Testone, Jakob Diehl, Francesco Gaudiello (Rus., Ital., 2019, 2h16)
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