« On reconnaît un arbre à ses fruits », écrit Matthieu dans son évangile (VII, 16). Michael Lonsdale, acteur qui croyait au Ciel, est mort ce 21 septembre. Il laisse derrière lui des fruits somptueux.
Dans les journaux people, tel acteur ou telle actrice se dit capable de tous les jeux, de toutes les expériences. C’est la plupart du temps, sauf exception, faux. Untel ne supporte pas qu’on filme sa calvitie naissante, unetelle ne rêve que d’un prix à Cannes et refuse tous les rôles qui ne lui attireront pas un large public. Ils font récrire les scénarios à leur convenance, etc. Ils s’embourgeoisent avec le succès.
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Michael Lonsdale ne disait rien, mais il n’avait pas besoin de le dire, ses rôles parlent d’eux-mêmes : il n’avait pas peur de déroger. Son image, il s’en fichait bien, lui, l’homme un peu rond mais grand, doté d’une voix grave et d’une douceur incroyable. Toujours classe, flegmatique, selon le cliché qu’on se fait des Britanniques (son père était Anglais). Bourgeois de naissance, il n’avait pas eu besoin d’en rajouter.
Il était de toutes les expériences, de tous les jeux, Michael Lonsdale, lui, oui, ah oui, sans hésitation. Jeune, déjà, certes c’est l’époque, il pratique l’improvisation lettriste, sorte de free-jazz des mots, avec son amie Edith Scob. Le théâtre de marionnettes. Joue beaucoup au théâtre (notamment dans la troupe Renaud-Barrult)
Et puis il rencontre Delphine Seyrig dont il dira beaucoup plus tard qu’il était tombé follement amoureux. Mais voilà… La vie. Il ne regrettait rien. On peut aimer sans retour.
La peur de rien
Michael Lonsdale, très tôt, est catholique pratiquant et s foi ne fera que grandir, apparemment. Et alors ?
Quand Luis Buñuell, dans Le Fantôme de la liberté, lui demande de se faire fouetter, cul nul apparent, par une femme devant des moines, Lonsdale lui demande simplement pourquoi et Buñuel lui répond : « Parce que ça me ferait plaisir« . Et Lonsdale ajoutait : « Cela m’a semblé une raison suffisante« . Peur de rien, même pas de ce que son dieu pourrait en penser. Pas peur des autres cathos, du regard de la société, des puritains. Il est au-dessus ça, Michael Lonsdale. Libre.
Quand Jean Eustache lui demande de jouer dans Une sale histoire, l’histoire d’un voyeur qui regarde le sexe des femmes par un trou creusé dans les toilettes d’un café du 15e arrondissement, il le fait sans se poser de question. Où est le problème, Jean ?
Il ne calcule pas. Il rencontre des personnes remarquables, au nombre desquelles, évidemment, Marguerite Duras. C’est mieux que de dîner avec des contrôleurs de gestion, non ? Il joue dans Détruire, dit-elle, engoncé dans un magnifique manteau en peau retourné. Rien ne l’arrête.
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Puis il joue dans le chef-d’œuvre de Duras, India Song. il restera vice-consul à vie, Michael Lonsdale.
Il se balade.
Dans Baisers volés de Truffaut il joue l’un des plus beaux rôles de paranoïaque de l’histoire du cinéma. Sans jamais tenter de surplomber son personnage, sans aucune ironie. A plat.
https://youtu.be/f0zmZR312qU
Il fait aussi dans le commercial sans jamais perdre de sa classe naturelle et de son étrangeté : Dans Hibernatus d’Edouard Molinaro, film culte de De Funès, il joue un professeur de médecine dément, sûr de lui, ridicule, sans jamais la ramener intello. Il est hilarant.
Rien ne semblait l’étonner
On le voit dans le rôle du méchant de Moonraker, un James Bond. On y croit. rien ne l’arrête.
Il joue aussi dans Le nom de la Rose de Jean-Jacques Annaud, le rôle d’un grand Inquisiteur. Il n’est jamais menacé d’excommunication, à notre connaissance.
La consécration (bien inutile), il la rencontrera sur le tard, récompensé par un César, certes mérité, pour son rôle de moine médecin dans Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois. Mais il était au-dessus de ça, bien sûr.
Il aimait Rembrandt, Fra Angelico, Samuel Beckett, Turner, Orson Welles, Jean-Baptiste Chardin, Monet, le Caravage, Dreyer, le Douanier Rousseau, Van Gogh, Bonnard, Munch, Giotto, Bosch, Corot, Victor Hugo.
En 2011, en sortant d’une interview avec Lonsdale, nous nous étions demandé, avec Jean-Marc Lalanne (directeur de la rédaction des Inrockuptibles), ce qui était le plus frappant chez lui, et nous étions tombés d’accord, le long de l’avenue de Ségur (il habitait ce quartier perdu des Invalides depuis toujours) sur cette constatation : rien ne semblait l’étonner, il semblait trouver que tout était normal, même de se faire fouetter devant une caméra. Michael Lonsdale vient de quitter la vie, et je suis sûr qu’il est mort sans penser un seul instant qu’il y avait quelque chose d’étrange là-dedans.
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