[Michael Lonsdale est décédé ce 21 septembre, à l’âge de 89 ans. Nous republions cet entretien qu’il nous avait accordé en 2011] Michael Lonsdale dit qu’il n’a pas de chapelle. Surprenant pour un croyant. Mais pas étonnant pour un comédien qui, en cinquante ans de carrière, s’est illustré aux côtés des avant-gardes tout en s’invitant dans le cinéma le plus populaire ou les blockbusters américains. Toujours génial, chez Duras comme chez James Bond.
Comment avez-vous vécu le succès de Des hommes et des dieux ?
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Michael Lonsdale – Le film contrebalance un monde d’accélération et d’anxiété. On parle de silence, de paix, de travail en commun et d’entente entre des peuples différents. Je connais beaucoup de gens qui l’ont vu plusieurs fois. Certains s’adressent à moi dans la rue, me remercient, notamment beaucoup de Maghrébins.
Vous avez tenu un nombre impressionnant de rôles d’ecclésiastique…
Oui, on m’en propose souvent. C’est peut-être lié à ma foi. J’ai été cardinal dans le Galilée de Joseph Losey (1975). Avant, Louis Malle m’avait confié le rôle d’un ecclésiastique qui enseignait la religion aux jeunes et aimait bien frotter leurs genoux (Le Souffle au coeur, 1971). Dans Le Nom de la rose de Jean-Jacques Annaud (1986), je jouais un personnage dont on m’a beaucoup dit qu’il était très dur. Mais c’était simplement un pauvre abbé consterné de voir ses frères se faire tuer tous les jours.
http://youtu.be/RVNi6-UBP1k
Et puis j’étais évêque dans Le Bon Roi Dagobert de Dino Risi (1984). Quel navet celui-là ! Une catastrophe ! Le tournage était d’un pénible ! A peine arrivé sur le plateau, Michel Serrault me tombe dessus et, avant même de me dire bonjour, me glisse à l’oreille : « C’est l’horreur ! » Risi ne cessait de dire à ce pauvre Coluche : « T’en fais pas assez, fonce ! »
Du coup, il se déchaînait, ce qui faisait rire toute l’équipe technique. Mais en salle, personne n’a ri, pas même les enfants. J’ai été aussi Grand Inquisiteur dans ce film terrible de Milos Forman, Les Fantômes de Goya (2007)… C’est un film sans aucune nécessité intérieure. Je crois qu’il l’a tourné seulement pour visiter l’Espagne…
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Nous, on trouve le film assez intéressant…
Ah bon ? Il y a des choses pas mal, sûrement. Mais l’acharnement du scénario sur Natalie Portman, emprisonnée, violée, dont les parents meurent, c’était vraiment trop. Javier Bardem composait un personnage trop déplaisant. Tous les acteurs parlaient anglais avec un accent étranger différent… C’était totalement incohérent.
Ça vous atteint de tourner des films que vous jugez mauvais ?
Oh non, pas du tout. Je suis un acteur à l’anglosaxonne je crois, qui n’a pas de chapelle, se promène un peu partout dans le cinéma et n’a pas de problème avec le spectacle. J’ai débuté dans le théâtre de boulevard des années 50, avec Raymond Rouleau. Puis je suis allé Rive gauche, j’ai rencontré Beckett, Duras, Régy. Les gens que j’avais connus avant m’ont dit : « Tu ne devrais pas faire que du Duras, tu devrais sortir du ghetto de l’avant-garde. » Plus tard, quand je suis parti tourner Moonraker (Lewis Gilbert, 1979), mes amis Rive gauche m’ont dit « Mais tu as joué Beckett, tu ne vas pas faire le méchant de James Bond. »
La même année, en 1969, vous avez tourné Détruire dit- elle de Marguerite Duras et Hibernatus avec Louis de Funès…
J’avais besoin d’argent et franchement, j’ai beaucoup hésité à accepter Hibernatus. Ma première surprise en arrivant sur le plateau fut de voir que le voyant rouge signalant qu’on tournait était allumé alors que je venais de voir le réalisateur, Edouard Molinaro, au café. Je m’en suis étonné auprès de lui et il m’a dit : « De Funès ne veut pas que je sois là quand on tourne. Je le gêne. » (rires) De Funès était un tyran comme on n’imagine pas.
C’est lui, vraiment, qui réalisait les films. Il avait aussi un droit de regard sur le montage, la musique, les autres acteurs… Ses films coûtaient une fortune parce qu’il pouvait exiger au bout d’une semaine de tournage qu’on réécrive le scénario. Mais je me suis assez bien entendu avec lui. J’ai compris très vite qu’il fallait toujours improviser, ne pas chercher à caser ses répliques, car lui était incapable de dire une réplique normalement. Chaque mot donnait lieu à un festival de faux trébuchements, d’onomatopées, de grimaces. Certains acteurs attendaient qu’il ait fini pour prendre la parole à leur tour.
Moi je jouais plutôt avec ce qu’il faisait, du coup on s’est amusés, il était content que je sois à l’aise dans l’impro et m’a félicité. Mais tout le monde n’était pas dans ses petits papiers. Sans compter que Mme de Funès débarquait souvent sur les plateaux pour demander aux gens, mine de rien, leurs opinions politiques, histoire de vérifier qu’il n’y avait pas trop de communistes. Ils étaient très portés sur la chasse aux sorcières, les De Funès. Quand elle m’a posé la question, je lui ai répondu que j’étais d’extrême-centre. Elle n’a pas compris l’astuce.
Et jouer le méchant dans un James Bond : bon ou mauvais souvenir ?
Moonraker reste vraiment un bon souvenir. Je me souviens de ce géant (Richard Kiel), l’autre méchant du film. Il avait une petite épouse qui lui arrivait à la taille et qui a accouché pendant le tournage. C’était très beau de voir ce tout petit nourrisson dans les mains démesurées de ce colosse. Il tournait avec une mâchoire en fer qu’il fallait lui retirer toutes les deux ou trois heures parce qu’il ne pouvait pas la supporter davantage. On la rangeait dans une petite boîte aseptisée pendant son heure de repos obligatoire. On se déplaçait en Concorde, je n’étais jamais allé à Los Angeles. C’était très amusant.
Où êtes-vous né ?
A Paris, d’un père français et d’une mère anglaise. Quand j’ai eu 4 ans, nous avons déménagé à Londres. Deux jours avant la Seconde Guerre mondiale – j’avais alors 8 ans -, nous avons suivi mon père, nommé à un poste de représentant en engrais au Maroc. La guerre est arrivée à Casa un 15 août. Je me souviens de tout : du voyage en bateau, de la chaleur en arrivant… Nous nous sommes installés dans un petit village arabe. C’était assez fort pour moi de retrouver, sur le tournage de Des hommes et des dieux, l’environnement humain de mon enfance.
C’est au Maroc que vous êtes devenu cinéphile ?
Oui, c’est là-bas que j’ai découvert le cinéma américain. Les films français ne parvenaient plus jusqu’à nous. Alors je me passionnais pour les stars hollywoodiennes. Je me souviens de Marlene Dietrich partant dans le désert en enlevant ses souliers, ça m’impressionnait. Blanche˜Neige et les sept˜nains m’avait horrifié. J’ai fait des cauchemars pendant des mois˜: la méchante reine, la sorcière, la pomme empoisonnée… On ne devrait pas montrer des films comme ça aux enfants, c’est trop effrayant ! (rires)
Vous êtes revenu à Paris pour faire du théâtre ?
Oui, il n’y avait pas de cours à Rabat. Je suis arrivé à Paris à 19˜ans, chez mon oncle. J’étais timide, inhibé. On m’a conseillé d’aller au cours de Tania Balachova. Le premier jour, elle faisait travailler Roméo et Juliette à une jeune fille. C’était Delphine (Seyrig). Dans cette classe, il y avait aussi Antoine Vitez, Daniel Emilfork, Jean-Louis Trintignant… Ça m’a émerveillé. La rencontre avec Beckett a ensuite été déterminante, il faisait un théâtre sans précédent, qui a façonné mon idéal artistique pour toujours : l’invention des oeuvres de son temps.
Quel souvenir gardez-vous d’Orson Welles ?
J’avais une trentaine d’années et très peu tourné au cinéma. C’était fou de jouer avec celui qui en était le dieu. Quelle joie de l’observer ! Le Procès fut son dernier film tourné avec autant d’argent. Il avait sa limousine, ses cigares, ses boissons, il était heureux. Ruiner ses producteurs était une joie profonde pour Welles. Il les haïssait.
Comme acteur, il a tourné Paris brûle-t-il ?, ivre mort tous les jours. Comme une fois sur deux il n’était pas en état, ses jours de tournage, et donc son cachet, ont doublé. Sur le plateau du Procès, on sentait l’invention tout le temps, la liberté absolue. Y˜compris de trahir Kafka. Car pour filmer la vie de bureau, Welles a besoin d’un plan de trois cents secrétaires tapant à la machine. Alors que rien n’est plus opposé à Kafka que le gigantisme.
En revanche, il a fallu un certain temps pour que vous rencontriez la Nouvelle Vague…
En 1967, j’ai tourné La mariée était en noir, et l’année suivante Baisers volés. Truffaut est le premier cinéaste à m’avoir permis de totalement improviser. Pour la scène où je m’adresse à Léaud dans le cabinet du détective, il m’a donné un texte de trois pages pour le lendemain. Je lui ai dit que je n’aurai jamais le temps de l’apprendre. Il m’a répondu que ce n’était qu’un canevas, que je pouvais dire ce que je voulais. J’ai pris énormément de plaisir à composer ce monsieur Tabard, un réactionnaire un peu idiot mais imbu de lui-même. Toutes les scènes du couple Tabard ont été tournées chez moi. Truffaut voulait un grand appart donnant sur la tour Eiffel. « Moi j’en ai un ! », lui ai-je dit et on a passé une semaine inoubliable chez moi avec Delphine (Seyrig), Jean-Pierre (Léaud)…
Vous avez finalement peu tourné avec la Nouvelle Vague.
J’ai rencontré Jean-Luc Godard bien plus tard. Il m’a proposé un rôle dans son film avec Depardieu, Hélas pour moi. C’était triste, désagréable. Il m’a reçu dans son bureau, m’a demandé ce que je pensais de son scénario. J’ai dit « Je ne sais pas, je n’ai rien compris. » Il a répondu˜: « Moi non plus. Je ne sais pas ce que j’ai écrit. » Puis il m’a demandé de lire un dialogue, puis de le relire pour qu’il me filme, puis de le relire parce que, m’a-t-il dit de sa petite voix chuchotée et traînante, il avait « oublié d’allumer la caméra ». Je n’aime pas ce genre de manipulation. Je l’ai trouvé très méprisant.
Et Jacques Rivette ?
Rien à voir ! Out 1 (1971) était une folie totale. On était dans l’invention tout le temps. C’est tout de même un film improvisé de plus de douze heures !
Récemment, j’ai donné à la Cinémathèque le scénario que l’on m’avait donné à l’époque. C’est juste un document en accordéon avec des schémas, une sorte d’électrocardiogramme˜: untel croise untel puis untel pendant qu’untel… Une fois face à son partenaire, il fallait tout inventer avec pour seul canevas la mémoire d’Histoire des Treize de Balzac.
Je jouais un metteur en scène de théâtre moderne. Je m’étais inspiré de ce que j’avais fait en 1968 avec Peter Brook et ses ateliers autour de Shakespeare, où l’on croisait des acteurs anglais, américains, et aussi Delphine, Sami Frey… Il nous faisait faire des exercices d’impro. Peter Brook pouvait se taire pendant une heure, et tout à coup dire˜: « Distrayez-moi. » Je ne l’aimais pas beaucoup. Il s’est toujours pris pour un gourou.
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