[Michael Lonsdale est décédé ce 21 septembre, à l’âge de 89 ans. Nous republions ce portrait de 2004] Comédien des avant-gardes (Duras, Rivette, Eustache…), revenu au grand public avec Le Mystère de la chambre jaune, Michael Lonsdale s’amuse et se ravit de l’intérêt que lui portent aujourd’hui des cinéastes qui ont la moitié de son âge.
C’est une brasserie chic du VIIe arrondissement parisien, derrière l’hôtel des Invalides. Michael Lonsdale y a ses habitudes. Depuis plus de cinquante ans, l’éternel vice-consul de Duras (India Song) vit dans un grand appartement voisin, qu’il n’a jamais voulu quitter. « Je m’y sens bien, il y a une belle lumière. » Et surtout une vue sur la tour Eiffel. C’est pour cela que François Truffaut, obsédé par le monument métallique, avait demandé à Lonsdale l’autorisation de tourner chez lui toutes les scènes du couple Tabard (Lonsdale et Seyrig) à leur domicile dans Baisers volés. C’est là, dans sa vraie salle à manger, que l’acteur prononçait, avec sa coutumière malice pince-sans-rire, une réplique d’anthologie, qu’il répète à notre demande : « Adolf Hitler n’a jamais été peintre en bâtiment ! C’était un petit peintre paysagiste ! »
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Le grand homme au poil brun, toujours inquiétant dans des rôles de hauts fonctionnaires, d’ecclésiastiques pervers ou de grands bourgeois déséquilibrés, a blanchi. Sa barbe et ses longs cheveux gris lui ont permis de gagner en douceur. Et c’est avec cette nuance de détachement poli, cette voix blanche percée de quelques inflexions curieusement perchées qui a accompagné les plus beaux assauts du théâtre moderne, qu’il se souvient d’une enfance nomade.
En 1931, Michael naît à Paris, d’une mère française, d’origine intellectuelle et bourgeoise, et d’un père militaire et anglais. Voilà pourquoi il faut prononcer « Michael » à l’anglo-saxonne. « Et non pas Mikael à la bretonne. Non, Michael, comme Michael Jackson, mon illustre modèle… Seul Mocky depuis quarante ans s’obstine à m’appeler Michel. »
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Dès la naissance du petit Michael, le couple Lonsdale quitte Paris pour l’île de Guernesey, puis Londres en 1935. « C’est là que j’ai entendu parler d’Hitler pour la première fois, de la Nuit des longs couteaux. On nous faisait essayer des masques à gaz. J’étais enfant mais je sentais que quelque chose de terrible allait arriver. » Tandis que l’Europe bascule dans la Seconde Guerre mondiale, la famille Lonsdale quitte Londres pour le Maroc. Le père, qui a quitté l’armée à 30 ans, s’est reconverti comme représentant en engrais. Lorsque les relations avec l’Europe sont coupées, les Lonsdale vivent dans une relative misère. Michael déteste l’école, sèche tous les cours.
Quand les soldats américains s’installent à Casablanca, c’est une révélation.
Tous les soirs, il s’infiltre dans la base pour regarder, parmi les GI’s, des films hollywoodiens. L’adolescent dévore tout, note sur des fiches le nom des cinéastes (Hawks, Curtiz, Ford…), se crée sa petite « Politique des auteurs ». C’est à cette époque qu’il décide de devenir acteur.
A la fin des années 40, la famille Lonsdale revient à Paris et s’installe dans le grand appartement des Invalides. Vient pour Michael-le-cancre le temps de la formation intellectuelle. « Mon oncle Marcel Arland dirigeait la NRF avec Jean Paulhan. Alors, après tant d’années d’ignorance, je me suis retrouvé catapulté en pleine Gallimardie. Chardonne passait à la maison, et puis la fille de Gide. Nimier a vécu chez nous pendant des mois. Et mon oncle m’a fait découvrir la peinture, la littérature, Lautréamont… J’ai rattrapé des années de scolarité nulle. En même temps, tous ces gens étaient épris de belle langue, de beau style, et pas tellement de nouveauté. La NRF a complètement raté Beckett. »
Pas Michael, qui rencontre le dramaturge irlandais à la fin des années 50, et créera plusieurs de ses textes, dirigé par Beckett lui-même. Il se déprend assez vite de sa formation classique, cherche les expériences radicales, la fréquentation des avant-gardes. Il prend des cours de comédie chez une professeur de renom, Tania Balachova. « Cette année-là, ses élèves étaient Delphine Seyrig, Bernard Fresson, Antoine Vitez, Laurent Terzieff, Stéphane Audran, Jean-Louis Trintignant… On avait 20 ans et Tania était une professeur géniale. Elle nous faisait jouer Marivaux en nous roulant par terre. On faisait du Chéreau quinze ans avant lui (rires). »
Alors qu’il travaille au théâtre avec Beckett, Terzieff, Claude Régy (une dizaine de spectacles en commun, dont la mythique Chevauchée du lac de Constance de Handke avec Moreau, Seyrig et Depardieu, en 1975), qu’il accompagne Georges Aperghis dans l’expérience du théâtre musical entre musique contemporaine et poésie , le comédien tourne au cinéma des seconds rôles dans des pochades. A l’exception d’un petit rôle marquant dans Le Procès d’Orson Welles. Il évoque l’éblouissement de la gare d’Orsay transfigurée en tribunal kafkaïen, Welles ivre sur le plateau.
« Vous, vous travaillerez surtout après 30 ans, car vous ne pouvez pas tenir l’emploi du jeune premier », lui avait prédit sa prof de théâtre. C’est même après 35 ans que sa carrière au cinéma se déploie vraiment. Après les succès de ses deux films avec Truffaut, La mariée était en noir (Jeanne Moreau l’étouffe dans un placard) et Baisers volés (le marchand de chaussures qui engage un détective privé pour savoir pourquoi ses proches ne l’aiment pas), les propositions affluent. Il choisit les films les plus risqués. Comme Out 1 de Jacques Rivette, film-fleuve de plus de douze heures. « C’était de la folie. Les comédiens devaient tout inventer. La seule indication de Jacques était d’incarner une société secrète contrôlant Paris, comme dans l’Histoire des Treize de Balzac. Mais on pouvait faire ce qu’on voulait. Bernadette Lafont se bloquait. Alors qu’on pourrait croire qu’elle est toujours en train d’inventer ce qu’elle dit dans ses films, elle est très mal à l’aise en impro. Léaud, lui, évidemment était très à l’aise. »
Ou encore Une sale histoire, le film génial de Jean Eustache, récit d’un voyeur qui regarde les femmes « par leur sexe » dans les WC publics, raconté par celui qui l’a vécu (un ami d’Eustache) et par un comédien qui le redit à la virgule près (Lonsdale). « Je devais faire un autre film avec Jean. Mais il avait été retardé car je devais partir en Suisse sur un tournage. C’est là que j’ai appris son suicide. J’étais bien triste. C’était difficile pour lui de vivre dans ce monde. Tout le blessait. »
Rencontrée au théâtre (où Lonsdale créa L’Amante anglaise et Eden cinéma), Marguerite Duras devient sa complice de cinéma. « Le premier jour de tournage, c’était la scène de bal. Marguerite envoie la musique et nous demande de dire notre texte. L’ingénieur du son lui explique que ce n’est pas possible, que c’est l’un ou l’autre. Elle ne connaissait rien au mixage. Alors elle dit : « Très bien, on enregistre la musique et ils se taisent. » C’est comme ça que le film est entièrement en voix off ! Les rapports avec Marguerite étaient très enfantins. Tout nous faisait rire aux éclats. Elle était si malicieuse. Quand elle partait sur le communisme, le féminisme, je passais mon tour… »
C’est en effet la grande singularité du parcours de Lonsdale. Comédien au cœur des avant-gardes, il s’est désintéressé de tout engagement politique au profit d’un sentiment religieux de plus en plus en plus marqué. Ses parents n’étaient pourtant pas croyants, et c’est de son propre vœu qu’à 22 ans il a demandé à être baptisé. « Longtemps je n’en parlais pas. Ma foi rencontrait trop d’hostilité. Maintenant, c’est plus facile. Les gens s’y intéressent. » Il pense qu’après la fin de l’utopie communiste, le catholicisme est un recours, préfère éluder les questions gênantes sur les positions du pape (avortement, safe-sex…) et affirme qu’il n’est pas de programme philosophique plus vaste que « Donnez tout ce que vous avez, soyez serviteur, aimez-vous les uns les autres. »
Sans forcément connaître son mysticisme personnel, le cinéma en a pourtant beaucoup joué. En 1974, Buñuel en fait un prêtre SM qui se fait fouetter cul nu dans Le Fantôme de la liberté. « Quand je lui demandais pourquoi telle ou telle indication de jeu qui me semblait aberrante, il répondait en souriant « Parce que ça me fait plaisir », ce qui m’a toujours paru un argument très valable (rires)« .
Losey lui fait incarner le pape dans son adaptation du Galilée de Brecht, Balasko le transforme en archange Gabriel (Ma vie est un enfer) et Jean-Jacques Annaud en moine despotique (Le Nom de la rose). La peinture tient aussi une place importante dans sa vie intérieure. « Acteur, c’est dur. Le corps, le cœur en prennent un coup, et on n’est que passeur. La peinture, c’est ma création. Je peins des paysages imaginaires, des choses florales. Peindre, c’est un paradis. »
C’est pourtant le cinéma qui occupe aujourd’hui l’essentiel de son temps. Le gros succès du Mystère de la chambre jaune semble l’avoir remis à la mode auprès du jeune cinéma français. En septembre sortent 5×2 de François Ozon et Adieu d’Arnaud des Pallières (« Il a quelque chose d’aventureux, d’inventif, je le sens. »). Il vient de terminer la suite du Mystère…, Le Parfum de la dame en noir, et le premier film de Thierry Jousse, Les Invisibles. « Je joue un gardien d’immeuble. Ça me change de tous mes rôles à cravate : inspecteur, juge, politique… » Ce plébiscite par des cinéastes qui ont la moitié de son âge le ravit. « On m’avait proposé de rentrer à la Comédie-Française, mais je n’ai pas accepté. Ce fantasme d’acteur du grand rôle de répertoire, ça m’assomme. Moi, je suis curieux du nouveau, de l’invention, de l’inédit. »
Photo Renaud Monfourny
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