Acteur physique révélé par les films de Steve McQueen (Hunger, Shame), puis confirmé par la saga X-Men, Michael Fassbender habite un thriller adapté d’un roman de Jo Nesbø, Le Bonhomme de neige. Et ne nous laisse pas de glace.
Dans Le Bonhomme de neige, le thriller psychanalytique de Tomas Alfredson (La Taupe, Morse), Michael Fassbender s’appelle Harry Hole. C’est un flic à la réputation prestigieuse qui s’est consciencieusement bousillé, avec des quantités considérables d’alcool et de tabac entre autres instruments autodestructeurs. Mal rasé, mal embouché, vaguement neurasthénique, Hole est donc au fond du trou. Mais l’acteur nous alerte à l’avance sur ce jeu d’onomastique : “Le personnage s’appelait déjà Hole dans le roman norvégien de Jo Nesbø dont le film est adapté. Je ne suis pas sûr que votre jeu de mot marche en norvégien.”
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Pourtant, des hommes qui tombent dans des trous, Michael Fassbender en a interprété plus d’un. Surtout chez Steve McQueen, activiste mis au trou dans Hunger, sex addict aux prises avec les précipices de ses désirs dans Shame. Comment un gars aussi robuste, qui aime le surf et la moto,a-t-il pu devenir au cinéma une image aussi éloquente de la faiblesse humaine ? C’est par ce paradoxe que nous avons entamé une conversation badine, dans un quartier trendy de Londres.
Michael Fassbender — J’ai une discipline. Elle consiste à me délester tous les soirs de tout ce qui constitue un personnage. Toutes les névroses, toutes les souffrances…
Cette discipline nécessite un effort ? Seriez-vous naturellement enclin à vous confondre avec votre personnage ou à vous identifier trop fortement à ce qui le constitue ?
Oui, c’est une tentation assez grande à laquelle j’ai apprisà résister. C’est quand même un métier étrange, acteur. Il consiste à absorber progressivement une expérience de viequi n’est pas la sienne, mais celle de quelqu’un qui la plupart du temps n’existe pas. Et il faut ensuite parvenir à donner l’illusion que cette expérience est la vôtre. Certains acteurs aiment s’installer dans cet espace un peu flottant entre eux et les personnages.Moi pas nécessairement, j’aime bien entrer et sortir, et tracerdes frontières nettes entre le dedans et le dehors.
Steve McQueen a vu chez vous une propension à incarner la souffrance, une dimension volontiers christique, qu’il a mise à profit dans son premier film, Hunger. Puis dont il a dévoilé une seconde facette dans Shame. Est-ce que ça vous a surpris qu’un cinéaste devine en vous cette capacité à la martyrologie ?
Hunger (2008) a été la chance de ma vie. Je n’avais jamais eu la chance jusque-là d’être à ce point au centre d’un récit, d’avoir des choses aussi profondes à jouer, dans une œuvre aussi riche de sens et marquante. Le rôle demandait un investissement très fort. Tout d’abord physique, puisqu’il m’a fallu perdre un nombre important de kilos. Mais aussi psychique. La façon dont Steve McQueen tournait était aussi très prenante. Il fallait parfois tourner vingt-sept pages du script en un plan et une prise. Le plan-séquence, c’est quand même ce qu’il y a de plus excitant pour un acteur. Parfois, dans certains films, notamment les très grosses productions, les plans sont si courts, le travail qu’on nous demande si décomposé en petits gestes, micro-attitudes, qu’on se dit parfois qu’un singe bien entraîné pourrait le faire aussi bien que vous (rires).
Est-ce que l’interprétation dans Hunger de ce personnage d’activiste irlandais, Bobby Sands, mort à l’issue d’une grève de la faim, a transformé quelque chose en vous ?
Il m’a un peu inventé comme acteur, oui. La préparation était particulière. Je me suis isolé pendant des semaines avant le tournage. D’abord pour des raisons pratiques. Pour perdre du poids, il fallait que je ne m’alimente presque plus et ça m’énervait trop d’être entouré de gens qui eux continuaient à manger normalement (rires). Mais aussi parce que j’avais besoin de vivre dans un état d’isolement. Par ailleurs, je suis irlandais. Donc la figure de Bobby Sands revêt une signification très forte pour moi. L’immense respect que j’ai pour son combat politique, et son engagement total pour une cause, rendait mon interprétation d’autant plus périlleuse. J’avais peur d’abîmer quelque chose qui représente énormément pour moi. Mon engagement dans ce film, à plein de niveaux à la fois, a été si fort que si je devais résumer ce que j’y ai appris, c’est qu’il est possible de tourner un film et de mettre son âme dedans.
Quels films ont constitué selon vous d’autres paliersdans votre carrière, après ce premier coup d’éclat ?
Après Hunger, il y a eu Fish Tank d’Andrea Arnold (2009), qui m’a procuré un plaisir très vif lors du tournage. Les deux autres films que j’ai tournés avec Steve (McQueen) ont également beaucoup compté : Shame (2011) et 12 Years a Slave (2013). Rencontrer Ridley Scott et tourner avec lui Prometheus (2012) puis Alien: Covenant (2017) m’ont aussi beaucoup appris.C’est un cinéaste d’une maîtrise exceptionnelle, son intelligence du cinéma, de la fabrication des films, se manifeste jusque dans les plus infimes détails. Enfin, intégrer la franchise X-Men a été décisif dans ma carrière, m’a apporté une fanbase colossale, une notoriété sans comparaison avec ce que j’avais connu jusque-là. ça modifie un peu tout ensuite. ça donne de la liberté, parce que les propositions affluent, mais ça peut aussi en retrancher.
Avant d’être choisi pour incarner Magneto jeuneà partir de X-Men: le Commencement (2011), quelle était votre relation à ce type de cinéma ? Les superhéros faisaient partie de votre culture ?
Pas particulièrement. Mais j’ai quand même commencé à aimer le cinéma comme pur spectacle. J’adorais les films qui vous faisaient voyager. Enfant, Les Aventuriers de l’Arche perdue et Indiana Jones et le temple maudit étaient mes films préférés. Et aujourd’hui encore, j’ai parfois envie d’aller voir des films par pur amusement. Ce qu’on découvre en intégrant ce type de très grosses productions, c’est que si les films sont amusants à regarder, ils ne sont pas toujours très amusants à faire. Ce sont mêmes les tournages les plus durs et contraignants pour les acteurs. La logistique est tellement lourde que les options de jeu sont très limitées. Tout est cadré, contrôlé. Le travail consiste à se plier le plus précisément possible à ce qui est exigé. Ce qui est intéressant aussi, mais plus difficile pour moi. Là, je viens de terminer à Montréal le tournage de X-Men: Dark Phoenix. Le film est réalisé par Simon Kinberg, qui était producteur des précédents films. Je le connais donc depuisde nombreuses années et ça m’a passionné de le voir se confronter à la réalisation, acquérir très vite de nouvelles compétences…
Ça vous faisait envie ? Vous envisagez de réaliser un jour ?
Je ne sais pas. Sur Assassin’s Creed (2016), j’étais impliqué dans la production. C’est un poids considérable. Mais en tout cas, c’est vrai, ce sont des questions qui me travaillent.
Et quand vous jouez Magneto, vous vous impliquez de quelle façon dans la définition du personnage ?
Je le fais très sérieusement. Je dois le rendre vrai pour moi, comprendre d’où il vient, ressentir sa back story. Je vois le personnage comme un activiste. Depuis le début, la référence majeure, c’est Malcolm X. Tandis que le professeur Xest plutôt Martin Luther King. Le truc important à comprendre sur Magneto, c’est que pour lui la fin justifie tous les moyens. Qu’il ne s’encombre d’aucune prévenance morale. Rien ne peut entamer sa détermination à faire triompher sa cause politique. C’est ce que j’ai essayé de dégager : Magneto est un militant.
Vous souvenez-vous des raisons pour lesquellesvous êtes devenu acteur ?
J’ai d’abord eu envie d’être musicien. C’était l’essentiel de mon activité de 15 à 17 ans. Je jouais de la guitare, je faisais du heavy metal. Un jour, un de mes amis est venu chez moi pour répéter et en l’écoutant, j’ai mesuré à quel point il était un bon guitariste, un bon musicien, et je me suis dit“Ah OK, moi je ne suis pas du tout à la hauteur. Peut-être que la musique n’est pas mon truc, en fait…”
Ado, vous n’écoutiez que du metal ?
Essentiellement, mais pas seulement. J’adorais Metallica, Iron Maiden, Megadeth. Mais j’aimais aussi le rock de la fin des années 1960, Jimi Hendrix, les Doors…
La britpop, qui explosait à l’époque, ne vousintéressait pas ?
Non, pas du tout. Par contre, j’étais assez sensible au grunge. J’ai beaucoup écouté Alice In Chains, Soundgarden,Chris Cornell… Du rock industriel aussi. J’aime beaucoup Nine Inch Nails. Mais ma culture, c’était quand même le heavy.
Votre look aussi ?
Oui, bien sûr. J’avais des cheveux très longs à 16 ans.C’était affreux ! Je crois que ça ne m’allait pas du tout.Je ne ressemblais à rien (rires).
Et comment avez-vous twisté de l’envie d’êtrehard-rockeur à celle de devenir acteur ?
A la même époque, un ancien élève de mon lycée est revenu pour créer une classe d’art dramatique. Dès le deuxième cours, c’était évident que c’était le bon mode d’expression pour moi. A partir de ce moment-là, j’ai voulu en faire mon métier.
Vous aviez des modèles ?
Absolument. Les usual suspects auxquels se réfèrent la plupart des comédiens de ma génération : Marlon Brando, Meryl Streep, John Cusack, Al Pacino, Gene Hackman… Mais Brando par-dessus tout. Aucun autre acteur ne me fait cet effet. J’adore son intelligence et j’adore son animalité. L’un ne va pas sans l’autre. Ce qu’il fait sur un écran est imprévisible. Et physiquement, il me fascine, je pourrais le regarder des heures. Il est vraiment unique.
Etes-vous fasciné aussi pas sa vie, tragique en beaucoup de points ?
J’ai lu une biographie quand j’étais jeune. Mais c’est difficile de juger. La perte de sa fille, la prison pour son fils sont autant de choses qui me désolent. Mais je ne suis pas particulièrement sensible aux mythologies des destins brisés, des grands artistes qui s’autodétruisent. C’est l’acteur qui me fascine plus que son destin en tant que personne. Peut-être que quand j’étais très jeune,à 18 ou 19 ans, j’avais cette vision romantique de l’art qui me faisait penser que la souffrance était un bon terreau pour créer. Mais maintenant j’ai plutôt envie d’être heureux. Et je vois mon métier comme un travail. Ou une discipline sportive. Si Tiger Woods est le meilleur, c’est parce qu’il a frappé la balle des centaines et des centaines de fois avant d’arriver au coup parfait.
Vous avez plutôt l’impression que vous donnez des choses quand vous jouez ou qu’on vous les prend ?
Moi, je fais mes devoirs. J’arrive hyper préparé. Mais j’espère toujours que le metteur en scène va savoir trouver en moi des choses que je ne savais pas avoir apportées. J’ai particulièrement eu cette impression avec Terrence Malick (Song to Song, 2017). Sa méthode est vraiment étonnante. L’improvisation a une très grande part et en même temps beaucoup de choses sont écrites. Pour mon premier jour de tournage, il m’a remis vingt pages de monologue. Je lui ai dit qu’il m’était impossible de les apprendre pour le jour-même. Il m’a dit “OK, improvisez à partir de ça, alors”. Son cinéma est un des plus perméables qui soient. Tout ce qui est circonstanciel, accidentel, peut trouver sa place. Il a la particularité de ne quasiment pas s’arrêter de tourner de toute la journée. Même pas pour déjeuner. On travaille jusqu’au soir, en continu. Donc c’est très fatigant. Mais c’est une sacrée expérience. Et Terrence est une personne vraiment merveilleuse.
Vous vivez à Los Angeles ?
Non, je vis à Lisbonne. Je m’y suis installé l’an dernier.Avant, j’avais vécu vingt ans à Londres. Je n’ai jamais habité aux Etats-Unis.
Et quand vous tournez aux Etats-Unis,vous vous sentez un étranger ?
Je suis un étranger ! L’Europe est vraiment ma maison. Aux Etats-Unis, j’aime travailler, j’ai des amis, mais je n’aimerais pas du tout vivre à L. A. L’industrie du cinéma y est trop concentrée. Et quand je ne tourne pas, je préfère être loin de tout ça.
Comme vous tournez beaucoup, vous n’êtes pas souvent à Lisbonne, non ?
Cette année, je n’ai tourné que X-Men. Le reste du temps,j’ai pas mal voyagé. J’ai passé pas mal de temps en Afrique du Sud, pour le surf par exemple.
Vous avez toujours une passion pour la moto…
Non, plus tellement. Une autre passion s’y est substituée : celle des voitures de course. J’ai toujours eu le goût des voitures, de la vitesse. Quand j’étais tout petit, je montais sur les genoux de mon père lorsqu’il conduisait. Mais j’ai eu l’opportunité récemment de conduire des automobiles ultra rapides sur des circuits et ça me procure une excitation sans égale. J’adore sentir cette relation entre mon corps et une machine et essayer de toucher à la limite de l’un et de l’autre. C’est une expérience assez méditative.
Et le surf, c’est également méditatif ?
Absolument ! Les voitures de course et le surf font partie des choses que j’aime le plus dans ma vie.
Vous surfez où ?
Souvent à Biarritz. Biarritz est peut-être l’endroit où je me sens le mieux au monde. J’adore tout là-bas : les gens, la nourriture, les terres. Quand je suis là-bas, je me sens basque. De toute façon, je ne me sens jamais mieux qu’à la campagne, dans la nature. J’ai grandi à la campagne et j’ai besoin d’y retourner de plus en plus souvent.
Le Bonhomme de neige de Tomas Alfredson, avec Michael Fassbender, Charlotte Gainsbourg (G.-B., E.-U., Suè., 2017, 1 h 59)
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