Les amours interdites d’un moine et d’une nonne dans un style sensuel et onirique à la Paradjanov. Une vraie découverte.
Est-il nécessaire de mettre en scène une transgression pour évoquer la vie des religieux dans les monastères des Météores, en Grèce ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Pas forcément, mais il est certain qu’en plaçant au cœur de son récit succinct et épuré les amours interdites d’un moine et d’une nonne orthodoxes, Spiros Stathoulopoulos déroute presque autant qu’avec son premier film inédit en France, PVC-1, où une Colombienne était prisonnière
d’un collier explosif, enjeu d’un chantage crapuleux. Après avoir filmé le pays de sa mère, la Colombie, le cinéaste a décidé de tourner dans celui de son père. Du coup, il change radicalement de registre et même, apparemment, de style.
Meteora est une œuvre fondée sur la transgression, mais c’est le film le plus dépouillé, dans une optique primitive, qu’il nous ait été donné de voir depuis longtemps. Il est fondé sur la retenue et l’ellipse. Son découpage et son ton détaché ont quelque chose de bressonien.
Son contexte archaïque et son imagerie rappellent Sergueï Paradjanov. Impression principalement due à l’omniprésence de séquences d’animation illustrant des épisodes imaginaires ou de fantasmes du moine et de la sœur, qui s’inspirent fidèlement des peintures orthodoxes.
Ces icônes animées illustrant des épisodes mythologiques (crucifixion, Thésée et le Minotaure), ou bien extrapolant la situation des deux amants sur un mode onirique, contribuent à élever le film, dont l’enjeu essentiel est de dialectiser l’éternel conflit entre sacré et profane.
Il n’y a pas d’intrigue au sens traditionnel ; les quelques personnages extérieurs au couple clandestin du moine Theodoros et de la nonne Urania n’interviennent pas directement dans le récit. Le paysan joueur de flûte et l’ermite (personnage paradjanovien en diable) ne sont que des jalons, des figures…
L’histoire est intemporelle mais quelques objets l’ancrent tout de même dans le présent, montrant que si la vie monacale n’a pas évolué depuis des siècles, notamment aux Météores – monastères juchés sur des pitons rocheux, dont certains ne sont accessibles que par des paniers hissés avec des cordes –, la vie séculière, elle, continue à suivre l’évolution du monde moderne.
Le film est par ailleurs constamment à la frange du documentaire, notamment pour tout ce qui concerne l’activité paysanne, contrechamp de celle des moines, avec les rituels religieux et les messes. Exemple : la scène d’égorgement et de dépeçage d’une chèvre, qui pourrait tout de même être aussi une métaphore religieuse, ne serait-ce que par analogie avec les sacrifices d’animaux, constants dans les cultes archaïques.
Mais Spiros Stathoulopoulos ne s’attarde pas sur le prosaïsme campagnard. Il préfère harmoniser les registres, entre plans de paysage surréels, presque chinois, séquences religieuses, jeux des deux amants qui s’appellent en faisant miroiter les reflets du soleil, leurs quelques rencontres charnelles et les séquences d’animation.
Ce parfait équilibre entre ciel et terre, nature et rêve, amour et prière, est étayé par un choix musical particulièrement adéquat (des motets moyenâgeux, semble-t-il, et d’autres pièces plus percussives). Donc pas un drame au sens propre – la transgression n’aura pas de répercussion sociale visible – mais une œuvre d’atmosphère subtile décrivant un glissement progressif du désir profane dans le champ austère et mental de la religion. Soit une sorte d’équivalent chrétien du yin et yang.
Meteora postule un système transcendantal où le sexe aurait droit de cité. Là se trouvent l’audace et l’utopie illustrés par ce rébus filmique, à la fois respectueux de l’orthodoxie, dont il illustre les cérémoniaux, et radicalement anti-orthodoxe, aussi bien dans la transformation des icônes en dessins animés que dans le commerce charnel de deux dignes représentants de Dieu astreints à la chasteté.
{"type":"Banniere-Basse"}