Un pugilat étourdissant et sensuel autour d’un couple qui ne veut pas « coucher ».
Si on élaborait un classement des meilleurs films platoniques
du cinéma, Mes séances de lutte y décrocherait une place en
tête de peloton. Car, que fait-on derrière ce titre insolite, à part s’aimer sans se le dire, se désirer sans consommer, sans s’extasier et sans jouir ?
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“C’est quoi ce jeu à la con ?”, s’exclame un des deux personnages.
Ce jeu, pour Jacques Doillon, immense cinéaste dont la virtuosité éclate à chaque nouvelle production, consiste à pratiquer tout ce que l’absence de baise autorise – parler, jouer la comédie et surtout, surtout se battre – pour y faire naître un superbe élan de cinéma, une mise en scène intrépide, et une histoire risquée.
Venue assister au partage d’un héritage après la mort d’un père qui ne l’a jamais aimée, l’héroïne (“Elle”, jouée par Sara Forestier) retrouve un voisin (“Lui”, James Thiérrée), un gars de la campagne avec qui elle a jadis flirté.
Pour éviter d’en baver à la suite d’une nuit de sexe avortée, il a d’ailleurs rompu les liens – divorce amical qu’elle lui reproche très vite. Sur la base de cette scène originelle, manquante pour le spectateur, ensevelie dans le hors-champ du passé, les deux héros vont engager un dialogue à bâtons rompus, de longues séances de luttes verbales, ces plans séquences et théâtraux (mais un théâtre dont on filmerait les coulisses) qui sont devenus la marque de fabrique du cinéaste.
Avant d’en venir aux mains, Mes séances de lutte sert de terrain à une joute oratoire – une parole herculéenne, hypertrophiée, comme si la langue était un muscle qu’il fallait sans cesse solliciter, et lui faire proférer des insultes, des piques blessantes, des vérités à l’encontre de l’autre.
Génial dialoguiste (on voudrait recopier et apprendre par cœur chaque réplique afin de briller, soi-même, dans son couple), Doillon a en outre l’intelligence de ne jamais se placer au-dessus de ses personnages. Comme chez Rohmer, la machine verbale est imparable, mais chaque élan porté y est vrai – fragile.
Dans cet étourdissant pugilat, dragueur, haineux et complice, Doillon fond le discours amoureux dans une rhétorique de guerre ; il invente aussi un espace. La maison, décor majeur du film, est dépouillée de ses vertus domestiques pour devenir un terrain de combat. Un agencement de dédales et de recoins sombres, de parquet et d’escaliers glissants, que tous deux apprennent à maîtriser en même temps qu’ils s’affrontent – ou s’apprivoisent. C’est ainsi qu’un placard se révèle un redoutable piège, un tapis, un savant outil de torture, la baignoire, une cachette, et l’escalier,
bien plus tard, un spot érotique.
Le sentiment de liberté, de réinvention totale que procure l’usage paradoxal d’un lieu, abolissant sa fonctionnalité ronronnante, concourt à la vitalité d’un film qui ne serait pourtant rien sans ses corps.
Deux acteurs merveilleux et totalement abandonnés, enlacés dans la bataille, passant par tous les registres de la bagarre – chamaillerie, chatouilles, baston, clé de bras, castration (“oh pardon, je t’ai fait mal ?”), combat de boue – et qui peuvent tout aussi facilement, gracieusement, passer de la danse à l’étreinte torride, dans des scènes vertigineuses de force et de tendresse.
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