Une maire nouvellement élue et son équipe municipale font souffler un vent fantasque sur leur ville de Seine-Saint-Denis. Derrière la caméra, Jeanne Balibar nous enchante en naviguant entre comédie, gravité et militantisme bienveillant.
Quelle allégresse, quelle folie, quelle liberté. Les trois faisant la paire si on accepte (et comment !) que, tel le titre du film de Jeanne Balibar, Montfermeil rime avec merveilles. Tout commence par un divorce houleux entre Kamel (Ramzy Bedia) et Joëlle (Jeanne Balibar), qui s’invectivent dans le bureau d’une juge qui, pour patienter, s’absorbe dans une réussite. On prend les cartes, on bat les cartes.
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La carte du Tendre (séparation, réconciliation), inscrite sur le plan d’une ville, Montfermeil, où vient d’être élue une nouvelle maire, Emmanuelle Joly. Lors de la première réunion publique de son conseil municipal, madame Joly égrène les dates clefs de l’histoire de Montfermeil qui ne sont pas tout à fait celles qu’on attendait.
Elle rappelle que Montfermeil fut une léproserie, puis la patrie romanesque du misérable Jean Valjean par Victor Hugo interposé, puis la ville natale de Jean-Baptiste Clément, auteur du Temps des cerises. Ce qui inspire à madame Joly de nous en fredonner quelques paroles.
La sieste pour tous
Portée par le vent de l’insurrection en chantant, Joëlle la divorcée, qui fait partie de la nouvelle équipe municipale, improvise alors une séance de relaxation collective. On ferme les yeux, on respire à fond. Franc succès dans l’assistance. Au programme de madame Joly, on note aussi l’instauration d’une journée du short, puis du kimono, puis du kilt. Point d’orgue encore plus encourageant : le droit à la sieste pour tous les administrés.
Ce conseil municipal qui déraille est d’emblée un summum de fantaisie, la signature du film dès son introduction. Par bonheur, il y aura d’autres sommets. La création d’un bureau des allées et venues, animé par Marylin (la divine Marlène Saldana) qui, pour séduire Selim, son amoureux (Mounir Margoum), hésite entre le travestissement en fée Clochette et la panoplie de catcheuse mexicaine. Suivra la formation d’une brigade d’aide sexuelle à domicile dont profiteront Marylin et Selim.
“On a encore la possibilité d’être dans la joie” : notre interview de Jeanne Balibar
Ou encore une section de recherche des “mis de côté” dont Benoît, son responsable (Mathieu Amalric), dit lors de ses visites chez les pauvres gens : “Excusez-moi de vous déranger exprès à l’heure du petit déjeuner.” Quant à Kamel, l’ex de Joëlle, il a été nommé délégué du PTU (Pôle temps urbain), qui se prononce “pété-u”, ce qui fait rire tout le monde et le vexe.
De poules qui picorent sur le toit des HLM jusqu’au fantôme d’un Bibendum errant en sous-bois lors d’une Fête de la brioche, c’est quoi ce bazar ? Un bazar justement, fait de bric et de branque, de broc et de braque, pour un film intensément désordonné qui vaut mieux que les histoires bien rangées destinées à nous abrutir.
Une militance bienveillante contre l’effondrement du langage
La merveille des merveilles, c’est que ce film pense à nous tous autrement. C’est une utopie qui, comme dans le livre de référence de Thomas More, est une île, mais ici flottante au gré du contre-courant des idées folles. Un pays que l’on aimerait bien habiter ou plutôt, dans l’esprit frondeur du film, squatter. Cette politique de grands ensembles n’a pas grand-chose à voir avec l’immobilier et tout à faire avec le collectif ici et maintenant. Pour preuve, les acteurs. Des amateurs professionnels aux professionnels amateurs, plus une amicale qu’une troupe.
Soleil de cette constellation, Emmanuelle Béart, la maire Joly, aussi à l’aise dans le comique que le dramatique, voire le tragique, lors d’une crise de nerfs impressionnante avant une tentative de suicide. Sous les pavés de la comédie, la plage du grave.
Comment être de gauche aujourd’hui sans se renier ou se perdre ? La réponse surgit de biais, de la face lunaire du film, illuminée par une certaine Delphine (Bulle Ogier, géniale comme de coutume) qui, telle une nouvelle fiancée du pirate, fomente la libération d’un jeune homme noir en rétention administrative dans un hôtel Formule 1. Que faire ? La réponse est très simple : se déguiser en buisson pour gruger les ninjas du GIGN.
La plus belle proposition de Merveilles à Montfermeil vient de sa militance bienveillante contre l’effondrement général du langage. Via la création de la “Montfermeil Intensive School of Languages”, il est démontré qu’il vaut mieux être polyglotte et polymorphe que monomaniaque. Quitte, ô joie !, à parler arabe avec un fort accent allemand.
Merveilles à Montfermeil de Jeanne Balibar, avec elle-même, Emmanuelle Béart, Ramzy Bedia (Fr., 2018, 1h41)
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