Sorti en 2004, le deuxième long métrage donne à voir tout le génie de Bong Joon-ho. Un polar formellement étourdissant.
Les grandes affaires criminelles sont comme les chefs-d’œuvre : on n’en a jamais complètement fini avec. Voyez l’affaire du petit Grégory, rouverte trente-deux ans plus tard (et toujours pas conclue) ; ou encore Twin Peaks qui revient nous hanter après vingt-six ans de silence. Memories of Murder, le second et prodigieux long métrage de Bong Joon-ho, refait lui aussi surface dans les salles obscures, treize ans après sa sortie initiale, et trente-et-un ans après les événements, inspirés de faits réels, qui y sont décrits.
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1986 : le film débute sur un visage d’enfant qui, dans les blés estivaux, s’apprête à capturer un insecte, cependant que, non loin, une jeune femme est retrouvée ligotée, violée, assassinée par un tueur en série, le premier de l’ère moderne en Corée. Mais on n’attrape pas les criminels comme les criquets : telle pourrait être la leçon de ce plan inaugural. Durant les cent trente minutes qui filent à toute vitesse, deux flics locaux d’une incompétence crasse assistés d’un profiler venu de la ville et un poil plus affûté, vont s’évertuer à résoudre l’impossible affaire, tandis que les crimes s’accumulent.
Le génie de Bong Joon-ho, d’emblée évident, consiste à tout embrasser d’un seul geste : le sordide et le sublime, le moderne et l’ancien, l’historique (en arrière-plan les manifestations étudiantes annoncent la fin de la dictature) et l’anecdotique, le politique et le sentimental, la Corée et l’Amérique (où il mènera par la suite carrière). “D’un seul geste” est à prendre au sens littéral : abondent ici les plans-séquences, où deux ou trois enjeux se forment, à différents endroits du cadre, avant de se rejoindre et de tous péricliter dans un misérable pschitt.
La forme est grande, et pourtant l’on pourrait aisément ne pas s’en apercevoir, car il n’y a aucune emphase dans la mise en scène de maître Bong, mais tout à l’inverse une forme de bonhomie quasi burlesque, une façon taciturne de regarder le réel se défaire, sans franche possibilité d’intervention. Plus on essaie de s’en saisir, plus la vérité se dérobe. Et pendant ce temps-là, au fond du bocal, les criquets étouffent en silence.
Memories of Murder de Bong Joon-ho (Cor. du Sud, 2004, 2 h 10, reprise)
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