Alors qu’il brille actuellement en psychopathe charmeur et ambigu dans l’excellent « Victoria » de Justine Triet, retour sur la carrière de Melvil Poupaud, enfant-acteur devenu l’un des visages les plus fascinants du cinéma français.
Melvil Poupaud est de ceux qui ont un destin tout tracé dès l’enfance. On se souvient de lui il y a longtemps, petit elfe mince et ébouriffé accompagnant sa mère Chantal, attachée de presse de cinéma tout aussi mince et ébouriffée. Dans son livre de souvenirs, Quel est mon noM ?, il évoque sa fréquentation précoce de Duras, Lacan et Daney, ou le fait qu’Isabelle Adjani fut sa baby-sitter. Pas très étonnant donc qu’il soit devenu acteur à dix ans – et, ce qui est moins connu, qu’il ait amorcé une carrière secrète de réalisateur à la même époque.
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Trente ans après, le petit Melvil a grandi et dépassé la cinquantaine de longs métrages. On vient de le retrouver en fou passionnel dans le loufoque Victoria de Justine Triet. Mais sans Raoul Ruiz, qui l’a propulsé devant la caméra et lui a fait tourner dix films, il n’aurait peut être pas opté pour le cinéma car, comme il l’avoue lui-même, ce n’était “pas dans sa nature”. De fait, pendant longtemps, il incarnera des personnages plutôt réservés. Mais très vite, il prend goût au jeu, et s’affirme en néo-jeune premier dans des œuvres parfois barrées (cf. les polars déglingués de Graham Guit). Il a toujours aimé les paradoxes et en a joué en réalisant en solo des courts métrages parodiques, et même un long, Melvil, présenté à Cannes en 2006, mais jamais sorti.
En dehors de son travail avec Ruiz, il est resté proche du cinéma d’auteur, frôlant l’expérimental, mais s’efforçant sans cesse de ne pas s’enfermer dans une catégorie. Il s’est frotté à la comédie, au film de genre, a incarné des tendres comme des durs. Et maintenant des fous… Récemment, il a poussé le bouchon plus loin que jamais dans un film pas génial mais audacieux : Fou d’amour de Philippe Ramos, où il incarnait le fameux curé d’Uruffe, prêtre tombeur et meurtrier, dont l’histoire était narrée par la tête guillotinée du criminel. Mais Poupaud a tenu des rôles moins excentriques dans plusieurs bons films.
La Ville des pirates, de Raoul Ruiz (1984)
Melvil, qui porte un prénom presque prédestiné dans le contexte du film (cf. Herman Melville) aborde le cinéma de Ruiz par sa face stevensonienne. A ce moment là, le cinéaste chilien, soutenu mordicus par l’Institut National de l’Audiovisuel, expérimente à gogo, sur un mode primitif, la couleur et les déformations visuelles, tout en imaginant des histoires romanesques d’outre-tombe sur des bateaux. La Ville des Pirates, qui traite en principe de l’amour impossible d’une jeune femme pour un enfant, est un perpétuel tour de passe-passe onirique, beau et cruel, où les personnages sont plus des ombres que des personnages, évoluant dans une maison de conte de fées au bord de l’eau.
La Fille de quinze ans, de Jacques Doillon (1988)
Premier rôle de séducteur de Melvil. Il a 15 ans, comme la fille du titre, incarnée par la piquante et espiègle Judith Godrèche, dont il est le petit ami et dont le paternel dans le film, incarné par le cinéaste, tente de lui ravir les faveurs. Un film de badinage amoureux qui a le naturel du cinéma de Pialat, en plus dépouillé, épuré, presque angélique, et ce, malgré les noirs calculs qui se trament sous les cieux éthérés. Melvil craque, est craquant. Il n’est déjà plus tellement le filleul maudit de Raoul Ruiz.
Le Journal du séducteur, de Danièle Dubroux (1996)
Cette fois, c’est officiel, Melvil, alias Grégoire, est un don juan, comme le titre l’indique, emprunté au livre de Soren Kierkegaard dont Danièle Dubroux s’est vaguement inspirée. Vaguement, car le film n’a pas le caractère dépressif ni machiavélique du fieffé misanthrope danois. C’est au contraire un jeu de l’oie franchement loufoque où, si le sujet – la séduction – est bien traité, il est en même temps cerné de chausses-trappes hitchockiennes. Poupaud reste encore un peu guindé, mais dans le contexte sa réserve fait son charme.
Conte d’été, d’Eric Rohmer (1996)
Toujours le registre du tendre, mais cette fois franchement plus hédoniste et spontané, sous la houlette du maestro de la dialectique des sentiments. Une œuvre de vacances légère et ludique, qui est l’équivalent rohmérien de Du côté d’Orouet de Rozier. Certes, Melvil n’y est pas aussi benêt que Menez dans le film précité, mais ses jeux de cache-cache avec de charmantes donzelles, ses talents de chanteur de charme aux accents bretons, font du personnage et du film un pur enchantement. Premier sommet de sa carrière.
Généalogies d’un crime, de Raoul Ruiz (1997)
Retour au machiavélisme ludique. Et nouveau rôle d’assassin pour Melvil chez Raoul Ruiz, qui décidément ne voit que le mal chez lui. Cette fois, Ruiz s’essaie franchement au genre policier en s’inspirant de l’affaire célèbre d’Hermine von Hug-Hellmuth, pionnière de la psychanalyse, assassinée en 1924 par un neveu qu’elle soignait. Un jeu de miroirs et d’apparences incarné par Catherine Deneuve, dans le double rôle de la tante victime et de l’avocate défendant le meurtrier, René (Poupaud). Jeu de faux-semblants corseté par le genre psycho-thriller, dont le ludisme et les entortillements narratifs tempèrent l’aspect purement criminel, qui n’est qu’un postulat de départ.
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Les Sentiments, de Noémie Lvovsky (2003)
Une sorte de remake officieux de La Femme d’à côté de Truffaut, en plus ludique et extravagant. Poupaud est un jeune médecin que son épouse trompe avec son voisin, un praticien plus âgé qu’il vient remplacer. Dans le contexte, le personnage de Poupaud est moins saillant, éclipsé par Jean-Pierre Bacri et Isabelle Carré. Cela n’empêche pas le film, pour sa densité romanesque, d’être un jalon important de sa filmographie.
Le Temps qui reste, de François Ozon (2005)
Le rôles le plus sensible et dramatique de Melvil, qui incarne un jeune photographe homosexuel atteint d’un cancer généralisé. Délaissant le surplomb et le cynisme qui mine certaines de ses réalisations, Ozon paraît cette fois sincère en recherchant l’émotion sans arrière-pensée ; un des registres qu’il maîtrise le mieux, bien qu’il ne semble pas être son favori. S’il y a un personnage dramatique à retenir dans la filmographie de Poupaud, c’est bien celui-là. Ozon retournera avec Melvil en 2010 (pour Le Refuge).
Speed Racer, des Wachowski (2008) et le cinéma américain
On le sait moins, mais Melvil, cherchant à varier ses registres de jeu et les univers qu’il explore, a un temps navigué dans les eaux tumultueuses du cinéma américain, le plus souvent dans des rôles très secondaires. On a ainsi pu le voir dans Speed Racer, la course de bolides futuriste des Wachowski en forme de fulgurant exercice de style proche du trip sous acides, dans lequel il interprète un commentateur sportif taciturne sur fond psychédélique. Il incarne également le cinéaste raté Julien, amant français à la joie communicative de l’héroïne de Broken English de Zoe R. Cassavetes (2008), un artiste-peintre époux de Naomy Watts dans Le Divorce, de James Ivory (2003) et apparaît dans le drame conjugal intimiste Vue sur mer d’Angelina Jolie (2015).
Lucky Luke, de James Huth (2009), la tentative de la comédie grand-public
Qui se souvient encore de cette pochade de James Huth, pâle adaptation de la bande dessinée de Morris et Goscinny portée par un Jean Dujardin introspectif et un Michaël Youn en surchauffe dans le rôle de Billy the Kid ? Personne, tant le film est fade et éloigné de l’univers de la BD, malgré de belles trouvailles visuelles. A part peut être Melvil, qui revêt avec son naturel et son charisme habituel les oripeaux mi-shérif mi-gangster de l’élégant Jesse James dans une composition pleine de panache.
L’Autre monde, de Gilles Marchand (2010)
On reste mitigé par rapport au film, réflexion sur les faux semblants d’Internet, du monde virtuel et des jeux vidéos, qui décrit les expériences limite de quelques jeunes gens autour de ces thèmes presque un peu dépassés. Mais on sait gré à Gilles Marchand d’imaginer des univers troubles, froids et stylés. Si ce film est un jalon dans le parcours du comédien c’est avant tout parce qu’il y incarne un vrai méchant, ce qui n’est pas fréquent.
Laurence Anyways, de Xavier Dolan (2012)
Un autre grand moment de la filmographie de Poupaud, qui crée là un de ses personnages les plus mémorables, celui d’un prof de lettres qui annonce à sa compagne qu’il veut devenir une femme et démarre le processus de transformation. Une œuvre lyrique et déchirée qui est à la fois l’apothéose du cinéaste et du comédien. Dolan parvient à pousser son rêve baroque à l’incandescence et Poupaud transgresse toute sa retenue. Adieu l’introversion. Après ce film, il prendra plus de risques et sa palette s’élargira.
Le Grand jeu, de Nicolas Pariser (2015)
Le spectre de l’extrême-gauche violente des années 1970-80 plane sur ce film en demi-teintes mettant en scène une éminence grise du pouvoir et un groupuscule militant se terrant dans une ferme. Pris en tenailles entre ces deux pôles, un jeune écrivain désabusé et indécis participe malgré lui à une machination pas très claire. Poupaud est cet homme, à la fois séducteur et victime traquée. Dans un tel contexte, l’amour n’est plus un havre mais un lieu de résistance ; cela fait écho à des classiques hollywoodiens dont les héros étaient autant des guerriers que des amoureux romantiques. Filiation un peu ténue, certes, mais qui contribue au charme de ce thriller en demi-teintes.
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