Il n’aura fallu que quatre ans à Melissa McCarthy pour devenir la comique américaine la plus bankable. Et ce n’est pas “Spy”, réalisé par Paul Feig, qui arrêtera sa fulgurante ascension.
« Je vais faire de mes jambes des couteaux et te les planter dans la gueule, espèce de connasse. Je vais traverser ton putain de squelette de merde avec l’os de mon pied gauche, mâcher tes yeux si t’arrêtes pas de les faire cligner et t’éviscérer comme un poisson avant de boire ton sang et de traîner ta carcasse derrière mon 4 × 4.” C’est par cette chaleureuse mélopée que Melissa McCarthy clôturait le film de Judd Apatow 40 ans, mode d’emploi (2012), torrent d’injures tellement délirant que le réalisateur en offrit l’intégralité en bonus aux spectateurs restés pour le générique.
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S’adressant à Leslie Mann et Paul Rudd, petit couple modèle qu’elle accusait, à juste titre, d’avoir insulté son fils, elle perdait là son sang-froid et devenait une furie incontrôlable mais irrésistiblement drôle, du moins pour qui pense que la grossièreté ne devrait pas être l’apanage des hommes et qu’elle ne saurait être contenue derrière un rideau de bienséance.
La comédienne, qui était ces jours-ci à Paris pour promouvoir Spy, le nouveau film de Paul Feig, est heureusement beaucoup plus amène lorsqu’il s’agit de répondre à nos questions.
“J’étais dans un état second lorsque j’ai joué cette scène, reconnaît-elle. Je n’ai pas le souvenir de 90 % des mots que j’ai prononcés. Dans ces situations, ça tourne très vite dans ma tête et je cherche à atteindre un état où je ne me contrôle plus, où je laisse tout passer, sans filtre. Je crois que ça a une vertu thérapeutique. Mais je serais incapable de dire ça dans la vraie vie.”
C’est un cliché mais à quelques exceptions près, les comiques ne sont jamais à l’écran comme à la ville ; il arrive même parfois qu’ils ne soient pas si drôles face aux journalistes… Si Melissa McCarthy l’est plutôt, rien du personnage que l’on a appris à connaître depuis quatre ans, depuis sa découverte fulgurante dans Mes meilleures amies, ne transparaît durant l’interview : elle est affable, élégante, pimpante, bien sous tous rapports, loin de ses incarnations tonitruantes de rombières white-trash ou de soccer mum à qui on ne la fait pas. Qui aurait pu croire, il y a seulement cinq ans, que cette adorable quadragénaire jouerait une James Bond au féminin dans la comédie la plus chère et la plus attendue de l’été, tenant la dragée haute à Jude Law et Jason Statham ?
“Respecter la vérité du personnage”
Mariée avec le comédien et réalisateur Ben Falcone (qui l’a mise en scène dans Tammy en 2014 et le fera à nouveau dans Michelle Darnell), mère de deux petites filles, Melissa McCarthy “n’en revient toujours pas” d’être devenue, en quelques années, une des stars les plus en vue de la comédie. Même si sa réputation n’a pas encore tout à fait franchi l’Atlantique, elle fait désormais partie de celles sur qui on peut monter un financement. “Mon éclosion tardive me permet de relativiser l’importance du succès et surtout de me concentrer sur la seule chose qui compte dans ce métier : be true to the character.” Ce qu’on pourrait traduire par “respecter la vérité du personnage”.
Elle brosse en quelques phrases une enfance heureuse passée dans les années 70 et 80 dans une petite ville d’Illinois, dans un foyer progressiste où rire de soi et des autres est encouragé. Et lorsqu’on lui fait remarquer qu’un nombre incalculable de comiques américains viennent des plaines du Midwest, des deux côtés de la frontière canadienne, dans une diagonale du rire qui s’étendrait de Saint Louis à Toronto, en passant par Chicago et Detroit (citons pêle-mêle Bill Murray, Dan Aykroyd, Harold Ramis, John Belushi, John Hughes, Robin Williams, Jim Carrey, Steve Carell, Stephen Colbert, Tina Fey…), elle expose sa théorie.
“Les gens du Midwest ont la réputation d’avoir les pieds sur terre et sont obsédés par l’honnêteté. Or, croyez-moi, il n’y a pas de meilleur moteur comique : c’est l’irruption d’une vérité au milieu d’un tissu de balivernes qui provoque la plus forte hilarité.” De fait, la bible des comiques américains s’appelle Truth in Comedy (“Vérité dans la comédie”) et a été écrite par Del Close, qui enseigna à partir des seventies l’art de l’improvisation à… Chicago.
“La méchanceté, c’est pas mon truc”
Bien qu’elle reconnaisse l’influence de ce dernier, la première école de Melissa McCarthy a été new-yorkaise : deux jours après son arrivée en ville pour y suivre des études de mode – une passion qu’elle a gardée puisqu’elle possède aujourd’hui sa propre ligne de vêtements –, elle décide de tout plaquer pour passer ses soirées devant le mur de briques de L’Improv (que les amateurs de Louis C.K. connaissent bien). “J’y suis allée avec ma meilleure amie juste pour voir, et j’ai tout de suite chopé le virus du stand-up, se souvient-elle. Seulement, j’en ai vite perdu le goût : tous les soirs, je devais me battre contre des spectateurs dans la salle qui me demandaient d’enlever mon T-shirt, ou ce genre de remarques débiles. ç’aurait bien sûr été hyperfacile de les humilier, mais ça ne m’amusait pas. La méchanceté, c’est pas mon truc.”
Mal armée pour ce champ de bataille sans pitié, elle s’oriente alors vers le théâtre dramatique et l’Actors Studio, qu’elle fréquente assidûment durant sa vingtaine, avant de déménager pour Los Angeles et de goûter à nouveau aux joies de la comédie au sein de la troupe d’improvisation The Groundlings. C’est là qu’elle fait la rencontre la plus déterminante de sa vie : Kristen Wiig.
On est à la fin des années 2000 et cette dernière a réussi à vendre à Judd Apatow un scénario (écrit avec Annie Mumolo, une autre de Groundlings), qui deviendra Mes meilleures amies une fois réalisé par Paul Feig en 2011. Il reste un personnage à attribuer, pour lequel Kristen recommande sa collègue Melissa. A 40 ans, l’âge où la plupart des actrices entament leur long hiver botoxé, celle-ci se pointe au casting. “Kristen se met en face de moi et commence à lire la scène. Comme on se connaît depuis longtemps, j’oublie mon trac et je commence à improviser. Je m’oublie complètement, mais vraiment. Et au bout de quinze minutes on en vient à parler… de la possibilité de faire l’amour avec un dauphin. Lorsque soudain je me souviens que je suis à une audition et que des gens écoutent. Je revois les visages atterrés de Paul et Judd. A ce moment précis, j’ai lu sur leurs visages : ‘Dégage.’ Je m’en voulais tellement en quittant la pièce ; en fait c’était l’inverse : ils me disaient ‘Merci’.”
Paul Feig le confirme : “Melissa, c’est le genre de rencontre qu’on ne fait qu’une fois dans sa carrière – si on a de la chance. Je pensais supprimer le rôle, qui avait été réduit à peau de chagrin, avant de l’auditionner. Et puis soudain cette femme arrive et réussit l’audition la plus hallucinante que j’aie jamais vue. Si elle ne nous a pas vus rire, Judd et moi, c’est qu’on était complètement sous le choc. Mais dès qu’elle a fermé la porte, on a tous explosé et compris qu’on allait devoir réécrire le rôle pour elle.”
Depuis cette date, Paul, le pygmalion dandy (lui aussi du Midwest, il ne sort jamais sans son complet trois pièces de coupe anglaise ni sa canne), et Melissa, sa muse gironde, ne se quittent plus. Fort du succès colossal de Mes meilleures amies, le créateur de la série culte mais interrompue Freaks and Geeks (1999), qui n’avait connu jusque-là que des échecs dans sa carrière, vend à la Fox le principe d’un buddy movie entre filles, “où celles-ci se révéleraient au moins aussi compétentes et drôles, si ce n’est plus, que les hommes”, glisse-t-il. Dans Les Flingueuses, Sandra Bullock assure ainsi les arrières de sa plantureuse partenaire, et c’est à nouveau un carton.
Après Spy, où il revisite le film d’espionnage, ce sera au tour du mythique Ghostbusters de passer au travers du tamis féministe du duo Feig-McCarthy : dans ce troisième opus, vingt-sept ans après le précédent, les chasseurs de fantômes seront des chasseuses. Melissa McCarthy assume-t-elle l’épithète féministe ? “Bien sûr ! J’ai deux filles, et il me paraît essentiel qu’elles n’aient pas à se battre pour des trucs aussi évidents que des salaires aussi élevés que ceux des hommes ou la possibilité d’avoir le look qu’elles souhaitent sans subir de remarques sexistes.” Que ceux qui s’aviseraient de contrevenir à ces quelques principes de base soient prévenus : c’est œil crevé, éviscération et décapitation. On ne contrarie pas Melissa McCarthy.
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