Déçus que Le Dalhia noir de Brian De Palma/ James Ellroy n’aille pas à Cannes, mais contents qu’il se rattrape probablement à Venise, cette attente prolongée nous plonge dans un abyme paradoxal de désir et de frustration. Loin de la sage adaptation de L.A. Confidential par Curtis Hanson, nous nous perdons en de délicieuses projections […]
Déçus que Le Dalhia noir de Brian De Palma/ James Ellroy n’aille pas à Cannes, mais contents qu’il se rattrape probablement à Venise, cette attente prolongée nous plonge dans un abyme paradoxal de désir et de frustration. Loin de la sage adaptation de L.A. Confidential par Curtis Hanson, nous nous perdons en de délicieuses projections mentales quand nous imaginons ce que pourrait donner l’alliage entre deux obsessionnels comme Ellroy et De Palma, entre un roman touffu et hanté et un cinéaste réputé pour ses audaces formalistes. En attendant ce film qui peut donner aussi bien un chef-d’oeuvre qu’un ratage carabiné, on a chopé James Ellroy un peu par hasard lors d’un festival du film noir organisé par la Cinémathèque de Los Angeles le mois dernier. Ce soir-là, Ellroy venait présenter le Crime Wave de André de Toth, bonnarde petite série B à la Gun Crazy avec Sterling Hayden. Accueillant l’assistance composée de vénérables cinéphiles à coup de “salut les truands, les putes, les macs, les dealers, et autres psychopathes” digne de Hunter S. Thompson, Ellroy s’est livré à un speech en roue libre surchauffé qui valait presque le film en termes de spectacle et d’adrénaline. L’enseignement majeur que l’écrivain tirait du roman et du film noir, c’est que quoi qu’on fasse dans la vie, “we are fucked” (“nous sommes baisés”) ! Tel un rappeur maîtrisant son flow, assez génialement cabotin, Ellroy concluait chacune de ses envolées ultra-hard boiled par un tonitruant “We are fucked!!!”, slogan/refrain qui finissait par être repris en choeur par tout le public. En le voyant ainsi électriser en quelques phrases et quelques gestes une salle entière, transformant l’Egyptian Theater en cathédrale baptiste et l’audience en choeur gospel, on n’imaginait pas quel écrivain français pourrait donner une telle performance.
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Sans que l’on puisse conclure à une supériorité intrinsèque de la littérature américaine qui ne voudrait rien dire, Ellroy nous rappelait là que la langue américaine possède des vertus physiques et orales incomparables qui expliquent en partie la domination planétaire du rock et du cinéma hollywoodien, que les écrivains américains écrivent avec leur corps, qu’ils développent parfois une puissance d’incarnation qui passe dans leurs livres mais aussi autour de leurs livres, jusqu’à transcender les frontières interdisciplinaires. Ellroy était autant performer qu’écrivain ce soir-là, et on se disait qu’il pourrait tout aussi bien jouer le rôle principal du film de De Palma.
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