Sympathique, cash, plus fin que les costauds qu’il joue, Matthias Schoenaerts parle de son nouveau film, Maryland, du cinéma flamand, de la bêtise du nationalisme et de David Lynch.
Qu’est-ce qui vous a convaincu de tourner Maryland ?
Matthias Schoenaerts – L’histoire, le rôle, et Alice (Winocour, la réalisatrice – ndlr). C’est le portrait intime de Vincent, un soldat souffrant de stress posttraumatique. En tant que comédien, il y avait là un gros challenge. Autour de ce character study, Alice a greffé des éléments de thriller, d’action, de film d’horreur. Sur le papier, c’est un film que j’avais envie de voir, donc j’avais envie de le faire.
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Votre personnage est un taiseux. Vous aimez ces rôles tout en intériorité ?
Oui, on ne dit pas grand-chose mais il faut que ça existe. J’aime ce type de rôle parce que je trouve que souvent, dans la vie, les gens abusent des mots. Jusqu’à un certain point, je cherche cette économie de paroles chez mes personnages. Beaucoup de gens et de personnages de cinéma parlent trop et trop vite. Un personnage bavard peut me plaire aussi, mais généralement, je préfère les personnages qui tiennent leur gueule. J’aime bien quand on parle juste quand c’est nécessaire. Ceux qui parlent beaucoup souvent ne disent rien. Bon, on va pas non plus faire les moralistes… mais un peu quand même !
Travailler avec Alice Winocour, c’était comment ?
Elle est ouverte et directe, franche. J’aime ça. On ne perd pas de temps à s’embobiner, on dit ce qu’on pense et on essaie d’avancer. J’aime bien le dialogue franc et honnête, qui n’est pas le conflit, au contraire, c’est toujours dans l’idée de faire la meilleure scène possible.
Généralement, qu’est-ce qui détermine vos choix de projets ?
Les rôles, mais aussi le sens du film. Je me demande toujours, qu’est-ce que ce film nous raconte ?, qu’est-ce qui restera en sortant du cinéma ?, qu’est-ce que ça dit sur la nature humaine ?, est-ce que ça surprend ?, etc. J’ai besoin de ça pour croire à un projet. Après, il m’est déjà arrivé de découvrir ensuite le film et de penser : “quelle grosse merde !”
Vous aimez aussi les rôles où votre physique de costaud n’est pas déterminant ?
Bien sûr, comme dans Loin de la foule déchaînée ou Suite française. J’ai l’impression qu’on me réduit à Bullhead et De rouille et d’os, mais j’ai fait plein d’autres films et d’autres types de rôles ! Je vais même faire des comédies, des rôles où le type parle tout le temps ! Mais je ne prendrai pas la place de Poelvoorde, il est irremplaçable !
Vous avez fait des films de différentes langues et nationalités. Vous avez l’ambition d’une carrière internationale, voire hollywoodienne ?
Pas forcément. J’ai juste envie d’avoir la possibilité de continuer à bouger. L’avantage de l’international, c’est de rencontrer de nouvelles personnes, ce qui permet de rester en mouvement intellectuel, créatif. C’est le plus important. Le cinéma se mélange de plus en plus, l’identité d’un film au sens national du terme tend à disparaître. On me parle de film belge : mouais… Si les personnages parlaient anglais, rien ne dirait que le film est belge.
Ce sont les auteurs qui ont une identité de cinéma, pas les pays. Et puis tout bouge, tout évolue tout le temps, l’identité n’est pas un truc figé. Je n’ai pas du tout l’ambition de devenir une star d’Hollywood, je ne sais même pas ce que ça signifie. Mais si j’ai l’occasion de tourner un bon film là-bas, je ne vais évidemment pas refuser.
Je ne perçois plus la distance entre les Etats-Unis et l’Europe, quand je suis à New York, je me sens comme en Europe. Il faut arrêter d’étiqueter. Par exemple, si on dit d’un comédien qu’il est un acteur de film d’action, on lui coupe les ailes ! Pareil pour un pays, c’est comme si on disait que la France, c’est le béret et la baguette. Ben non, la France c’est un peu plus que ça.
On vous a découvert avec Bullhead, mais vous avez tourné plein d’autres films belges flamands. Ça vous embête qu’on ne connaisse pas le cinéma flamand en dehors de la Belgique ?
Ça commence à bien bouger en Flandre question cinéma, mais pendant longtemps, on a fait des grosses daubes. Maintenant, il y a une génération qui monte, celle de Michaël Roskam, Felix Van Groeningen (Alabama Monroe)… Mais je m’intéresse aussi au cinéma wallon, à Bouli Lanners, Joachim Lafosse, ce sont des cinéastes puissants. Ils ont chacun un style, une personnalité unique.
Comment regardez-vous le conflit wallon-flamand qui divise la Belgique ?
Je trouve ça d’une débilité absolue. C’est l’effet de la philosophie de la peur. Le politicien flamand va dire du mal des Wallons, “ils nous volent notre argent, etc.”, et vice-versa, et chacun va avoir peur de l’autre. Ma grand-mère est francophone, j’ai grandi en milieu francophone, je ne me sens ni wallon ni flamand, et même pas belge. Le nationalisme m’est complètement étranger, je trouve ça ridicule. A part diviser les peuples, je ne vois pas à quoi ça sert.
Ce conflit est représentatif de ce qui se passe en Europe avec la montée des crispations nationalistes…
C’est vrai… Je ne tire aucune fierté de ma nationalité. Je peux éventuellement comprendre le nationalisme de façon intellectuelle, mais émotionnellement, je n’y comprends rien, je trouve ça d’une telle débilité.
Avec quels réalisateurs aimeriez-vous tourner ?
David Lynch ! Si je ne devais plus faire qu’un seul film et que j’avais le choix, ce serait avec lui. Celui que je préfère de ses films est le moins typique, Une histoire vraie. J’adore. Et la fin est magnifique, bouleversante. Mais j’aime aussi Eraserhead, Elephant Man, Lost Highway, Blue Velvet, que des chefs-d’œuvre ! Lynch n’est pas du tout dans la psychologie, il dirige en termes d’énergie, d’atmosphère, ce qui donne des scènes fantastiques, chargées de plein de trucs. Son cinéma est unique.
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