Dans un film en apparence mineur, le prodige canadien livre une fascinante réflexion sur le cinéma et la vie.
Le cinéma ou la vie ? Comment le cinéma influence-t-il la vie ? Ces questions, Xavier Dolan se les posait dans Ma Vie avec John F. Donovan, récit d’un acteur qui se consume dans le secret d’une homosexualité se heurtant à sa célébrité de star hollywoodienne. Mais il se les pose déjà depuis plus longtemps sans doute, lui qui vit à travers le cinéma depuis ses 16 ans et la réalisation de J’ai tué ma mère (2009). Ses deux derniers films se terminaient sur des tragédies ; le suicide suspendu de Mommy (2014) et l’embrasement généralisé de Juste la fin du monde (2016). De ce point de vue là, son précédent film opérait une bascule, puisqu’il mettait en parallèle deux trajectoires opposées. Il s’ouvrait sur le destin funeste du personnage interprété par Kit Harington et se refermait sur le coup d’œil et le sourire lumineux de son pen friend devenu adulte et déclarant très ouvertement à la journaliste venue l’interroger qu’il a décidé de choisir de vivre et d’aimer plutôt que de supporter le poids de la réussite et du regard des autres.
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Un baiser de cinéma comme point de départ
Dans Matthias et Maxime, le prodige canadien prolonge cette réflexion, la complexifie et la déplace à l’autre bout de la chaîne alimentaire du cinéma, à savoir le premier court-métrage amateur d’une jeune étudiante en cinéma québécoise. Son huitième film s’ouvre sur une soirée entre amis à la campagne. A la suite d’un pari perdu, deux potes hétéros, Matthias (Gabriel d’Almeida Freitas, connu comme humoriste à Québec) et Maxime (Xavier Dolan, de retour en personnage principal d’un de ses films), doivent s’embrasser dans le court film expérimental d’une adolescente. Cette scène de cinéma, tournée dans l’intimité d’une chambre avec la réalisatrice pour seule technicienne, trouble Matthias. Quelques mois plus tard, Maxime annonce qu’il quitte le pays pour partir travailler comme serveur en Australie. Le compte à rebours est enclenché, le secret posé et le questionnement du film se déploie : comment Matthias va-t-il affronter cette attirance insoupçonnée ?
Si Ma Vie avec John F. Donovan montrait à quel point le cinéma – dans son artillerie la plus lourde – pouvait contraindre l’expérience de la vie, la réduire à une invivable apparence, Matthias et Maxime renverse ce parti pris. Le cinéma n’est plus le lieu du mensonge enfoui mais celui du jaillissement de la vérité. Dans cette courte scène de baiser réalisée dans la plus grande économie imaginable, la caméra enregistre la naissance d’un sentiment qui n’aurait sans-doute pu advenir sans le cinéma. Le film met à l’épreuve cette vérité cinématographique, la confronte au réel, qui est devenu le lieu du mensonge. C’est la plus belle idée du film, mais ce n’est pas la seule.
Une forme de relâchement
Les ingrédients d’un Dolan sont là : le secret, l’impossibilité d’une relation amoureuse homosexuelle, le vague à l’âme d’une sensibilité en désaccord avec le reste du monde, le rejet d’une mère castratrice, la tracklist pop bien fournie (à noter que Britney Spears y fait enfin son apparition avec l’imparable Work B**ch) et les références (à Titanic et à Lost Highway notamment), mais Matthias et Maxime brille aussi par une forme de relâchement. Dans son film le plus québeco-québecois depuis Mommy (les sous-titres français y sont indispensables), il s’autorise une mise en scène quasi instinctive, livrée au filmage d’une bande d’amis et moins obsédée par la maîtrise et le caractère ouvragé de chaque plan, des tons plus ternes (beau dégradé de teintes bleutées), des privates jokes roublardes sur Deny Arcand et une façon de retenir la corde de l’émotion, de se passer du moment d’extase totale qui faisait jusque-là la signature de son cinéma.
Xavier Dolan semble dans ce film se désintéresser d’un cinéma visant à impressionner son spectateur, à l’attirer vers un climax émotionnel et formel balayant tout sur son passage. Il paraît plus apaisé. A l’image de son personnage, il semble avoir des envies d’ailleurs, un ailleurs, ça peut être la route que prennent les deux amoureux à la fin de Ma Vie John F. Donovan. Il est ici symbolisé par une plante de bureau que Matthias, employé dans un grand cabinet d’avocat, observe comme on regarde la promesse d’une autre vie possible, plus sauvage. Comme nombre des films de Xavier Dolan, Matthias et Maxime se clôt sur un débordement, mais contrairement à Mommy ou Juste la fin du monde où ce débordement n’est que le hors-champ d’une mort annoncée, il est ici celui de la vie.
Alors le cinéma ou la vie ? Les deux nous dit le film, ou plutôt, le cinéma de la vie, celui où ils s’indistinguent et conspire main dans la main. A ce titre, le nom d’une des familles du film – celle de la jeune réalisatrice du court-métrage justement – ne peut pas manquer de nous interpeller : Rivette. Le clin d’œil est certain tant le réalisateur français n’a cessé de filmer la façon dont le cinéma et la vie s’interpénètrent. Matthias et Maxime, film en apparence mineur dans la filmographie de Xavier Dolan (son économie moindre, sa rapidité d’exécution et son casting d’inconnus du grand public) est une réussite absolue et une fascinante reformulation de ses obsessions.
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