A l’occasion de la sortie de « Promised Land », écrit et produit par Matt Damon, retour sur la vraie/fausse rivalité de l’acteur avec son ami Ben Affleck.
Années 80 : avantage Ben
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Matt Damon et Ben Affleck se connaissent depuis 1980. Matt a dix ans et Ben 8. Tous deux habitent à Boston, ont des parents divorcés, vivent avec leur mère. Ils deviennent amis. Très vite, Ben passe des castings, apparaît dans des pubs et tourne son premier film à 9 ans (The dark end of the street de Jan Egleson, 1981). Matt est moins précoce. Il a déjà dix-huit ans lorsqu’il décroche un tout petit rôle dans le très girly Mystic pizza (1988) avec une Julia Roberts pas encore star. En parallèle, il entre à Harvard pour des études de littérature. Garçon sensible, Matt adore la poésie.
1992 : avantage Matt
Première marche vers la gloire pour Matt : il obtient son premier rôle important dans School ties (La différence, Robert Mandel 1992).
Certes c’est Brendan Fraser qui tient le rôle principal, celui d’un jeune juif qui, au début des années 50, a intégré une université privé pour élites, est à la fois l’idole des profs, des filles, de son équipe de football, mais cache sa confession pour ne pas être mis au banc par ces nantis WASP. C’est Matt Damon qui incarne ce pur produit de la grande bourgeoisie américaine des années Eisenhower, blond et arrogant, tout doux en apparence, mais prompt à manier l’injure raciste quand l’occasion se présente. Au fond des plans, attablé à une table de réfectoire, assis sur un banc de vestiaire, on aperçoit Ben Affleck. Meilleur camarade dans la vie que dans le film, pour son premier rôle important, Matt a probablement recommandé son pote Ben.
1997 : égalité
Cinq après School ties, la gloire n’est toujours pas venue. Matt, 27 ans, commence à trouver le temps long. Certes il vient d’obtenir un second rôle dans un film de guerre pas fameux mais succesfull (A l’épreuve du feu d’Edward Zick avec Denzel Washington et Meg Ryan), mais il rêve de rôles plus denses, plus profonds. Il décide donc de s’en écrire un lui même. Et appelle en renfort son ami Ben, qui a la courtoisie d’accepter que Matt soit le surdoué génial de tous les plans, alors que lui n’est que le pote prolo dont la présence à l’écran est plus clignotante. Dans la magnifique scène de conversation sur le capot d’une voiture, Ben va jusqu’à dire à Matt qu’il doit s’envoler, car c’est lui le génie des deux et qu’il ne soit s’encombrer d’aucune vieille amitié qui pourrait l’empêcher de se déployer. Le projet Will Hunting passe un à un tous les obstacles : Miramax achète le scénario, Gus Van Sant accepte de le réaliser, le film est un carton public (plus de cent millions de dollars de recette), les deux gars deviennent des stars et obtiennent conjointement l’oscar du meilleur scénario (qui n’est pourtant franchement pas le point fort de ce beau film).
1998 : égalité
Finalement les choses ne se sont pas passées comme dans Will Hunting: l’amitiés des deux garçons n’a pas été pulvérisée par l’inégalité de leur réussite sociale. Ils deviennent ensemble, aux abords de la trentaine, les vedettes masculines les plus en vue d’Hollywood. Néanmoins, leurs choix diffèrent et campent sur des territoires cinématographiques assez différents. A Matt, les grand maîtres : Francis Ford Coppola fait de lui son Idéaliste (adaptation de John Grisham qui n’obtient qu’un succès mitigé) et Spielberg son Soldat Ryan, sauvé in extremis et porté vers les sommets du box-office. Ben, en revanche, prend l’option blockbuster et triomphe tout l’été 98 dans Armageddon de Michael Bay, gendre de Bruce Willis, maqué à Liv tyler et aux prises avec une astéroïde aussi moisie que le tube d’Aerosmith qui ravage la bande-son.
2002 : avantage Matt
La carrière de Matt Damon s’emballe. Ocean’s eleven, le polar lounge de Soderbergh, amasse des fortunes. Quelques mois plus tard, il tutoie à nouveau les cimes du box-office avec La mémoire dans la peau, film d’action virtuose, où entre deux courses-poursuites époustouflantes, il sait rendre émouvants les tourments d’un espion amnésique. Mais, non content d’escalader la A-list des acteurs les plus bankables d’Hollywood, il s’offre aussi le luxe d’une expérience radicale à mille lieux des fastes hollywoodiens: pour Gus Van Sant, il arpente les déserts du sublime Gerry, et, comble de l’ironie, son partenaire de marche est Casey Affleck, le petit frère de Ben. Ben arpente lui aussi un désert, mais il est artistique. Fidèle à Michael Bay, il fait le beau en tenue d’officier dans le Pearl Harbor bombardé (mais le film, vraiment nul, n’atteint pas les scores d’Armaggedon). Il joue à l’espion aux quatre coins de la planète, mais le wannabe blockbuster La somme de toutes les peurs se ramasse dans les grandes largeurs et ne fait guère d’ombre à La mémoire dans la peau.
2007 : avantage Matt
Désormais, Matt a plusieurs tours d’avance sur son ancien partenaire. Entre la franchise Jason Bourne, dont le troisième volet, La vengeance dans la peau sort au début de l’été, fait carton plein à tous les coups. Ocean’s twelve, pourtant pas très inspiré, a occasionné un nouveau raz-de-marée. Son face à face avec Leonardo DiCaprio vaut à Scorsese son premier oscar (Les Infiltrés). Même ses bides sont intéressants (le magnifique Deux en un des frères Farelly). En 2007, Forbes le consacre acteur le plus bankable d’Hollywood et People homme le plus sexy de la planète. Le sort de Ben est moins enviable. Il a enchaîné beaucoup de gros films qui se sont ramassés comme Daredevil ou, de façon très injuste, le beau thriller d’anticipation Paycheck (John Woo 2003). Il a touché le fond en papa veuf larmoyant dans Père et fille. Sa carrière d’acteur est sortie de route. Mais il a l’intuition d’une possible rédemption par la mise en scène. Il réalise son premier film, adapté d’un roman de Denis Lehane, Gone Baby Gone, avec son jeune frère Casey dans le rôle principal. Le succès n’est pas encore au rendez-vous mais le film a ses fans.
2010 : égalité
Aucune formule ne saurait durer toujours et la répétition menace la carrière de Matt. Son réalisateur des deux derniers Jason Bourne l’entraîne sous les décombres de Bagdad, dans une Greenzone où peu de spectateurs vont le suivre. Il retrouve aussi Soderbergh pour un rôle à transformation où il se montre très brillant, mais l’intrigant The Informant ne fédère pas les foules. Sur la voie royale des légendes du cinéma, sa route croise celle de Clint Eastwood pour Invictus (mais sa prestation passe un peu inaperçue). Pendant ce temps, l’impavide Ben poursuit sa route de cinéaste et son second long-métrage, l’habile The Town, lui vaut un début de reconnaissance.
2013 : avantage Ben
La carrière de Matt patine. Il n’est plus le centre des films (un second rôle dans True Grit des frères Coen, un rôle noyé dans le film choral de Soderbergh Contagion ou celui de Clint Eastwood, Au delà – deux films dont on peut dire qu’ils ne resteront pas comme les plus accomplis de leur auteur…). Son regard louche-t-il sur l’itinéraire de Ben : l’envie de passer à la réalisation le démange aussi et il met en chantier Promised Land, qu’il écrit, produit et souhaite mettre en scène. Mais quinze jours avant le tournage, il passe la main et rappelle son vieux mentor Gus Van Sant. Un coup pour rien : le film, pourtant très beau, est un échec public cuisant aux states.
Pendant ce temps, Ben Affleck réussit le coup de sa vie. Argo, comédie troupière sur fond de révolution islamique, menée allegretto toute perruque vintage et fausse barbe au vent, lui vaut un triomphe critique, public et l’oscar du meilleur film. Sur scène, dans son long laïus de remerciement, il se souvient que quinze ans plus tôt, il était monté sur scène recevoir son premier oscar. Mais pas un mot sur celui qui l’accompagnait. On pourrait croire qu’il était seul. Ne pas se retourner, se détacher des liens affectifs qui freinent l’envol individuel pour enfin se déployer seul, c’était à l’époque le conseil que proférait son personnage à son ami Will Hunting. Will l’a entendu. Ben aussi.
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