Images d’époque mais commentaires d’aujourd’hui : retour sur un match de foot du championnat roumain de 1988, joué sous la neige et arbitré par le père du cinéaste. Un coup de maître conceptuel et ludique.
On aime autant ce film que l’idée de cinéma qu’il porte. C’est quoi, Match retour ? Le replay télé de l’édition 1988 du derby Steaua Bucarest-Dinamo Bucarest. On entend d’ici hurler les addicts de Django Unchained ou True Detective : “Quoi ?! Un match de foot roumain vieux de vingt-six ans et réalisé par Télé-Ceausescu ? Et pourquoi pas un film albanais de 1932 sous-titré en croate ? Vous vous foutez de nous !?!” Attendez… Si les images datent de 1988, les commentaires sont d’aujourd’hui, assurés par le réalisateur et son père.
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C’est là, dans cette faille temporelle entre image et son, que se nichent le cinéma et l’idée qui nous est chère : la possibilité d’un film passionnant fait avec trois centimes et une grande idée.
A ce stade (de foot), il faut ajouter quelques précisions non négligeables. Adrian Porumboiu était l’arbitre dudit match : père et fils ne font pas que “refaire le match”, ils observent et analysent la prestation du papa. Il convient de rappeler aussi qu’entre le match et son commentaire Ceausescu est tombé et que la Roumanie est ensuite entrée dans l’Europe politique.
Il faut savoir encore que le Steaua était l’équipe de l’armée et le Dinamo, celle de la police, d’où une charge politico-historique d’importance au centre de laquelle se tenait l’arbitre, objet de toutes les pressions.
Ces données combinées donnent toute sa pluralité de signifiés godardo-daneyiens au titre Match retour : retour du refoulé, dialogue œdipo-temporel… Et ce n’est pas tout. Ce match mettait aux prises des joueurs de la génération dorée du foot roumain, les Hagi, Petrescu, Lacatus, qui allaient s’illustrer à la Coupe du monde 1994, et jouaient là sous une averse de neige s’aggravant au fil du match.
Match retour revêt donc aussi une dimension footballo-esthétique, chorégraphie hivernale de joueurs adroits et vigoureux, slalomant entre les buts et les luttes de pouvoir d’un régime finissant, filmés par une télévision propagandiste qui reléguait le public hors champ chaque fois que celui-ci se conduisait “mal”.
Enfin, il y a ce commentaire père-fils, à la fois complice et gentiment conflictuel, bourré d’humour pince-sans-rire et de silences parlants, d’effets de réverb entre foot, cinéma, politique et filiation. “T’aurais dû mettre carton jaune, là. – Non, c’était trop tôt, le match aurait dégénéré.” Ou encore : “Là, le match devient un peu chiant, non ? – Oui… un peu comme mes films.”
Match retour est tout sauf chiant : un excellent contrepoint au mondial brésilien, un film aussi simple, ludique, enfantin que puissamment conceptuel.
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