Un film d’auteur indien à moitié satisfaisant, car insuffisamment approfondi, sur deux destins contrecarrés par des tabous sociaux.
Il existe une loi non écrite selon laquelle la coproduction occidentale d’un film provenant d’une cinématographie “exotique”, et a priori moins normalisée qu’en Europe ou aux Etats-Unis, peut avoir des retentissements sur sa qualité et son intégrité artistique. Evidemment, cela n’a rien de scientifique et on peut certainement démontrer que des coproductions Occident/tiers monde ont produit des merveilles. Mais on est persuadé que cela laisse des traces et que cela peut édulcorer le propos de certaines œuvres.
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Masaan, coproduction franco-indienne, offre un exemple des possibles compromis nés de l’hybridation (simples exemples : sa durée, modeste pour un film indien, ou bien sa partition musicale confiée au compositeur des Choristes, Bruno Coulais). En tout cas, on a envie d’y trouver l’explication de l’insatisfaction dans laquelle laisse ce film mi-figue mi-raisin. A priori, il appartient à une micro-nouvelle vague indienne qui rompt avec les clichés bollywoodiens, mais aussi avec le cinéma d’auteur classique (Ray, Ghatak), par son approche directe et impulsive de la modernité sociale.
Les archaïsmes de la société indienne pourfendus
On se souvient de Gangs of Wasseypur (ou bien Ugly) d’Anurag Kashyap, et plus récemment de Titli – Une chronique indienne (Kanu Behl). Mais, bien que Ghaywan ait été assistant de Kashyap, il est assez mesuré et a tendance à couper la poire en deux. Ou plutôt le scénario : en effet, Masaan est un récit scindé en deux. D’un côté, Devi, jeune femme prise en flagrant délit de relation sexuelle dans un hôtel (scandale, semble-t-il dans la prude société indienne), et dès lors victime d’un chantage. De l’autre, Deepak, jeune homme issu d’une caste ostracisée, qui est amoureux d’une jeune fille de rang plus élevé. Soit deux archaïsmes sociétaux, que le cinéaste s’évertue à pourfendre.
L’ennui, c’est que les deux fils narratifs courent parallèlement tout au long du film pour ne se rencontrer qu’à la fin, très artificiellement. On peut ajouter au passif du film, trop occupé à dévider ses histoires et leurs rebondissements respectifs, un manque de caractérisation des personnages. En particulier l’héroïne, Devi, qui, si elle semble assez volontaire, n’a guère droit au chapitre.
Un prenant volet documentaire situé à Bénarès
Au-delà de ces bémols, reste le contexte, le cadre et la dimension documentaire du récit, situé à Bénarès, grande ville sainte indienne du bord du Gange, qui est un peu le Lourdes de l’hindouisme. Le film s’intitule Masaan, qui signifie “le bûcher”, et désigne l’activité de la famille paria de Deepak : elle construit et entretient les bûchers funéraires en plein air où sont incinérés les défunts de la ville. Une activité véritablement dantesque, formidablement rendue par la mise en scène, et même habilement intégrée au récit, lors de sa péripétie la plus tragique.
Mais malgré cet aspect vraiment accompli, et malgré d’autres à-côtés intéressants (la relation du père de Devi avec un orphelin qui lui sert de factotum), le film laisse toujours un sentiment d’incomplétude, dû à sa construction bifide, mais aussi à son relativisme.
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