En bidouillant des extraits de classiques américains, Martin Arnold accouche des névroses pelliculaires d’Hollywood.
Feux nourris sur le front du cinéma expérimental : à lire, une revue, Exploding, à la pertinence chaque fois plus affûtée (le n° 4 est Erogène, frottez-vous-y), la réédition de l’Eloge de Dominique Noguez, l’imminence de la somme de Brenez-Leutrat sur l’avant-garde française, et Stan Brakhage à l’honneur de la prochaine livraison de Trafic. A visionner, les sorties conjuguées chez RE:VOIR de bandes de Brakhage, Limura, Harry Smith ou Martin Arnold, l’homme qui ralentit.
Donnez à Arnold 18 secondes d’une séquence domestique (un mari rentre au salon pour saluer sa femme d’un chaste baiser) prélevée du Human jungle (1954) de Joseph M. Newman et, à l’aide d’une tireuse optique, il la transfigure en une quinzaine de minutes hoquetantes de perturbation, Pièce touchée (1989). Si ces gestes répétés ou inversés s’assimilent à des mouvements de balanciers, des rouages grippés, c’est moins l’étirement du temps que la distorsion des images par multiplication, le devenir gremlin du photogramme qui est à l’oeuvre chez cet Autrichien. Ainsi écartelé, le plan révèle l’envers de la bienséance hollywoodienne. Il n’est plus ici question, dans cette projection scratchée, que de sexe et d’impuissance, d’un ça boursoufflé que seuls des bégaiements onanistes pourraient satisfaire, d’une gigue grotesque et obscène, d’un pas de deux à double sens, littéralement la négation de l’accouplement. Une rayure sur la pellicule poignarde en boucle la scène, telle une fente clignotante et impénétrable, objet du désir et révélation de la schize qui déflore ce témoignage de l’american way of life (american lay off wife ?). Pièce touchée, à peine effleurée, jamais montée, absolument soufflante. Dans Passage à l’acte (1993), la tireuse optique se fait machine de guerre, le petit déjeuner en famille se prend sur un champ de bataille et To kill a mockingbird (1962) de Robert Mulligan (chez Arnold, les titres ne sont jamais innocents) devient un film de Samuel Fuller, jonché de cadavres fumants. En faisant subir au son le traitement infligé à l’image, Arnold radicalise son approche terroriste. Porte qui claque, table qu’on martèle, syllabes s’extirpant de leur gangue, autant de mitrailles qui laissent le pauvre Gregory Peck interdit, comme si on lui imposait l’écoute d’un vinyle rayé d’Autechre. Reléguant les détournements situs au rang de pochades, Arnold se fait l’accoucheur des névroses pelliculaires d’Hollywood et peut s’enorgueillir de « prendre (sa) revanche sur l’histoire du cinéma ».
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Cinemnesis de Martin Arnold, vidéos de Brackhage, Limura, Harry Smith, à commander à RE:VOIR, 14, passage de l’Industrie, Paris xème, tél. 01.40.22.60.82.
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