Hors des « fast-foods du sexe », Maria Beatty réalise des films SM fétichistes lesbiens ultrasophistiqués. Un cinéma rare et différent.
On a découvert Maria Beatty à Paris à l’occasion du Fetish Film Festival (FFF), festival dont les spectateurs sont aussi bien des hommes que des femmes, des membres des cercles SM, gay, lesbiens, fétichistes, etc., à l’image du cinéma de Maria Beatty qui attire à lui des publics très différents. Mais ce n’est pas le problème de Maria. Elle s’est nichée dans le sous-genre SM fétichiste lesbien, pour y tourner des films ultrapersonnels. Et s’il s’agit bien de pornographie, c’est filmé de manière si stylisée, sophistiquée, que le plaisir éprouvé tient quasiment plus de l’extase esthétique que de l’extase sexuelle.
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Comment en êtes-vous venue à réaliser des films pornos ?
J’ai travaillé avec l’actrice et réalisatrice de porno Annie Sprinkle et aussi dans le donjon new-yorkais d’Eva Norkind où je jouais le rôle de la soumise. Un petit boulot lucratif que je me suis mise à apprécier. J’ai découvert le SM, un monde qui est avant tout une pratique mentale ouvrant des espaces de liberté dans votre tête. Une quête spirituelle.
Pourquoi avoir choisi de filmer ces pratiques ?
Les pratiques SM sont très théâtrales, très ritualisées. Ça m’a paru logique d’en faire des films. Mais des films très personnels qui correspondent à ma manière d’envisager ce type de relations sexuelles. A l’époque, j’avais une relation avec Rosemary Delain : dans nos jeux érotiques, elle était ma maîtresse, et moi, sa soumise. De fil en aiguille, nous en avons fait un film, The Elegant Spanking (« La Fessée élégante »), en 1995 : elle y joue une maîtresse de maison et moi sa soubrette. C’était une suite naturelle à ce que nous vivions, et, en même temps, j’avais conscience du challenge d’un tel film : être une femme réalisatrice, c’est être minoritaire dans la production pornographique. Alors, une femme qui filme du porno SM lesbien fétichiste, c’est carrément un défi ! Mais c’est tellement excitant d’explorer un territoire qui n’a presque jamais été filmé avant.
The Elegant Spanking est la matrice de la filmographie qui va suivre. Tous vos thèmes et toutes vos figures stylistiques sont déjà là : la relation SM, le noir et blanc, le muet, les cartons…
Sur le fond, on retrouve dans tous mes films le thème de la soumission et de l’adoration d’une femme par une autre. Quant à la forme, elle est très soignée. La relation sexuelle est déjà en soi une forme d’art. Sa transcription à l’écran doit obéir à la même logique. J’ai tendance à filmer en noir et blanc car c’est un traitement de l’image très élégant. Mais dans The Seven Deadly Sins (« Les Sept Péchés capitaux »), mon dernier film, j’ai tenté la couleur : une couleur très saturée, pas loin du noir et blanc. Le choix du muet va au-delà des préoccupations esthétiques : je trouve que dans les films pornos, les dialogues empêchent l’imagination. Faire un film totalement muet comme The Black Glove (« Le Gant noir », 1996) laisse plus de place aux fantasmes. Plutôt que des dialogues, je préfère avoir recours aux cartons qui parasitent moins l’image. En fait, les images de mes films sont assez fortes pour se passer de dialogues.
La durée de vos films est également très spécifique : le plus souvent, ils durent une demi-heure, et ne dépassent jamais une heure.
Je ne suis pas dans un circuit commercial, je ne m’impose donc pas une durée commerciale. Je construis chaque film sur une relation sexuelle : il y a les préliminaires, la montée de l’excitation, la relation proprement dite, puis la jouissance. Et là, je m’arrête. J’essaie de respecter le rythme d’une relation sexuelle, de respecter un cycle du corps qui n’est pas celui de la convention cinématographique.
Et je travaille de la même façon : je passe le temps qu’il faut sur un film. D’abord, je conçois la scène, la structure, l’histoire. Ensuite, j’interviewe beaucoup de femmes qui ont ces pratiques pour qu’elles me parlent de leurs fantasmes. Puis je bâtis mon film. Je n’utilise pas des actrices professionnelles, mais des filles qui ont vraiment ces pratiques, pour que l’on sente que c’est passionné, intense, avec une explosion à la fin.
C’est une façon de répondre à ceux qui trouvent que vos films sont trop froids.
Mes films sont stylisés, sans doute. Mais froids, je ne crois pas. Au tournage, il y a une vraie tension sexuelle sur le plateau. Dans mes premiers films, The Elegant Spanking ou The Black Glove, je jouais la soubrette, et quand le tournage commençait, je dirigeais le plateau, mais très vite, j’étais tellement excitée que je ne savais plus où j’étais. Je jouissais vraiment. Après, quand je regarde les rushes, j’entreprends d’en faire un film, mais il y a eu un moment d’émotion totale au tournage.
A l’arrivée, comment définissez-vous vos films ?
Encore une fois, je ne me soucie absolument pas des critères commerciaux. Je sais que du point de vue de l’industrie pornographique, j’appartiens à une niche très précise : le SM lesbien fétichiste, une sous-sous-sous-catégorie ! J’ai créé mon propre genre : l’érotique noir. C’est très pur, d’une certaine façon, parce que je ne fais aucun compromis commercial. Dans mes films, on retrouve tous mes fantasmes (la relation SM, les trips uro, les fessées, les fleurs, le bondage, les talons aiguilles, les pubis rasés…) et la façon dont je tiens à les filmer (lumières, couleurs, musique, muet, cartons, durée, montage, etc.).
Votre marginalité vous pèse-t-elle ?
Non, je m’en sors bien, de plus en plus de gens aux Etats-Unis et en Europe reconnaissent mon travail. Dans une industrie pornographique créée par les hommes pour les hommes, je suis très fière de montrer les fantasmes d’une femme. De montrer que le corps de la femme peut aussi nourrir les fantasmes féminins. Et puis, mes films sont beaucoup plus subtils. Ce n’est pas seulement de la pénétration mécanique. C’est beaucoup plus érotique, plus profond psychologiquement. Pour moi, le cerveau est le plus gros organe sexuel. J’ai été très inspirée par des cinéastes comme Fritz Lang ou Luis Buñuel dont je trouve les films beaucoup plus excitants que le porno mainstream.
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